Archives de septembre, 2008

Citation. Sublimement.

Publié: septembre 30, 2008 dans Au gré des lectures

« Un simple balayage de la scène politique nous affranchit sur son insignifiance. Mais le pouvoir demeure comme fonction hygiénique et thérapeutique, comme rite apotropaïque {destiné à chasser les mauvais esprits}, comme anti-dépresseur. »

C’est Jean Baudrillard. Sociologue, philosophe, maître à penser depuis Le système des objets (1968, Gallimard), décédé il y a moins de deux ans. C’est dans Cool Memories IV (2000, Galilée). Dans ce même ouvrage, dont on ne peut se lasser, sur lequel on revient… presque un TOC (trouble obsessionnel compulsif), la citation de ce blog (« Vivre en intelligence… ») qui se poursuit et conclut par « Il faut vivre avec l’idée que nous avons survécu au pire. »

J’ai fait court. Exprès.

La Charte de 1990. 4/4

Publié: septembre 30, 2008 dans Insertion/missions locales

ATTENTION ! CELLES ET CEUX QUI SOUHAITERAIENT DISPOSER DES 4 CONTRIBUTIONS CORRESPONDANT A LA CHARTE DE 1990 PEUVENT M’ADRESSER UN COURRIEL A labbe.geste@wanadoo.fr. CES CONTRIBUTIONS SONT AGRÉGÉES, MISES EN PAGE, EN UN MOT HARMONISÉES POUR EN FACILITER LA LECTURE ET, SURTOUT, LA CRITIQUE ET L’OPÉRATIONNALITÉ.

 

Cinquième idée forte, le développement aux multiples facettes.

Plusieurs perspectives, ici quatre, pour comprendre le développement dans la Charte de 1990..

 Le jeune comme ressource…

« Les acteurs locaux, conscients de la nécessité de faire converger leurs actions, créent ensemble une « Mission Locale » pour que tous les jeunes participent au développement économique et social. » (point 1 de la Charte de 1990). Tout d’abord, posture déjà évoquée, les jeunes ne doivent pas être les réceptacles d’une offre d’insertion qui viserait à les inclure bon gré mal gré, eux patatoïdes, dans une société, elle parallélépipédique, mais ils sont parties prenantes de cette société et doivent être considérés comme contributeurs de son développement… et même plus au regard de la culture de l’éducation populaire : acteurs du changement social. Bertrand Schwartz deux fois à treize ans d’intervalle : 1981, «  Se priver des capacités d’ouverture, de disponibilité, de créativité des jeunes limite considérablement le changement social. » (1) ; 1994, « Ah, ce regard ! Ce regard des parents sur leurs enfants, des professeurs sur leurs élèves, des chefs d’entreprise sur leurs ouvriers ! Changez vos regards ce soir ! Sauf ceux qui ont déjà un bon regard. » (2).

Ceci implique de partir du jeune, non des programmes… présupposé évident mais, sans doute sur ce point, observe-t-on une dérive majeure… Car, aujourd’hui, sommes-nous assurés que les dispositifs et mesures sont en quelque sorte en libre-accès dans le supermarché des politiques publiques et que le savoir-faire des professionnels correspond à faire leurs courses dans les rayonnages pour soutenir, révéler les potentialités… ou ne serait-on point dans une situation où ce sont les jeunes qui sont déplacés pour satisfaire (= remplir) les programmes, pour in fine en valider la pertinence ? Évalue-t-on les parcours ou les programmes ? Quel est celui qui est au service de l’autre : le programme pour le jeune ou le jeune pour le programme ?

Développement local…

Le développement, quitte à flirter avec la tautologie, c’est également le développement local, justifié par l’intérêt des principaux acteurs qui ont créé la mission locale, les élus municipaux (désormais le plus souvent intercommunaux) : « L’initiative de cette démarche appartient aux collectivités territoriales : les communes au premier chef, avec l’appui souhaitable du département et de la région. » (point 2). Appréhender une mission locale comme outil du développement local, à vrai dire, ne va pas de soi : on la regarde plutôt comme un service pour les jeunes… et tout concourt à cela, singulièrement le vocabulaire (« prestations »…). D’ailleurs, quelques années plus tard, le Protocole 2005 précisera que « L’action des missions locales et PAIO s’inscrira dans les préconisations des schémas régionaux de développement économique (SRDE) »… ce qui – expérience vécue –  laisse dubitatif plus d’un directeur du développement économique de Conseil Régional. Autant sur le thème de la participation les missions locales gagneraient à s’inspirer de l’actif constitué par les foyers de jeunes travailleurs, autant sur celui du développement local les centres sociaux ont développé un savoir et un savoir-faire incontestables avec le concept de « développement social local ». On ne peut qu’inviter à consulter ces réseaux proches… et, ce qui ne gâche rien, issus de la même matrice qu’est l’éducation populaire (3). En attendant, probablement le travail à entreprendre correspond-t-il à une conviction interne – se situer comme force de proposition pour le développement local, puis à une valorisation de ce qui est entrepris tant en termes de contributions au développement économique (réponse aux besoins des entreprises, soutien aux initiatives de l’économie sociale et solidaire, promotion de synergies locales, participation à la création d’entreprise TPE…) qu’en termes d’aide au pilotage des politiques jeunesses en particulier par la fonction d’Observatoire territorial des jeunesses. Ce qui, comme à la télévision, correspond à une transition pour une troisième perspective… avant laquelle, juste sous forme d’hypothèse, nous pourrions rechercher les raisons explicatives des difficultés à s’affirmer comme outils du développement local. Raisons qui sont peut-être les mêmes que celles concernant la participation des jeunes au sein des missions locales. L’hypothèse, fort bien développée mais sujette à fâcherie, m’est inspirée par une contribution d’Olivier Chavanon, « Politiques publiques et psychologisation des problèmes sociaux » (4). Ce seul titre permet de comprendre ce qui est en cause et peut-être en jeu… Quant à la problématique, elle n’est pas non plus étrangère : « En la matière, la psychologisation des rapports au travail a pour effet de masquer dans le débat public les formes nouvelles d’oppression salariales en privilégiant une approche strictement individuelle des problèmes ou des difficultés. » (p. 276). Plutôt que d’enchaîner comme des bêtes de somme qui ne voient jamais le bout du chemin entretien individuel sur entretien individuel dans le bureau-alcôve à la fois sécurisant et oppressant, ne serait-il pas possible d’imaginer que le parcours d’insertion emprunte des chemins collectifs où chaque Sujet apprend – tout autant et peut-être plus que dans le face-à-face – l’altérité avec d’autres Sujets, l’un et les autres devenant Acteurs ? Altérité… condition nécessaire du développement puisque celui-ci, collectif, nécessite la reconnaissance mutuelle, préalable au contrat.

Observatoire…

« A partir d’un diagnostic permanent de la situation des jeunes, d’une connaissance approfondie du tissu économique et social et des innovations qu’ils développent ensemble… »  (point 10). Cela peut sembler incroyable… mais il y avait donc une vie avant la CPO qui a formalisé dans son « axe 1 » la fonction de repérage et, dans son « axe 4 », celle d’observation. Dans un environnement complexe et en évolution très rapide, dans un champ – la jeunesse – lui-même mouvant, le développement local ne peut faire l’économie d’un système de veille, qui lui-même nourrit un laboratoire d’idées et de solutions sociales (cf. innovation) de telle façon à proposer une architecture partant d’expertises constituées (internes et externes) – où en sont-elles ? dispose-t-on d’un référentiel partagé qui identifie ces expertises, au moins celles points de passage obligé, exigibles dans chaque mission locale pour garantir l’égalité de traitement ? –  réalisant le travail d’observation, se poursuivant par la réflexion et débouchant sur le développement. Où en est-on aujourd’hui de la contribution des missions locales aux politiques jeunesses territorialisées ?… est une question à laquelle il faudra bien répondre si l’on aspire à ce que charte et autres « fondamentaux » soient incorporés, signifient autre chose que des déclarations que les pratiques, têtues comme des faits, peinent à reconnaître comme effectives.

Pivot de la politique locale d’insertion…

« La Mission Locale, parce qu’elle est le lieu d’une pratique partenariale active, est l’un des pôles privilégiés d’animation des réseaux locaux d’insertion et un outil du développement local. » (point 11). Si l’on ne reviendra pas sur le droit à l’accompagnement (loi de programmation de cohésion sociale), ni sur sa mise en œuvre confiée par le législateur aux missions locales, on pourrait cependant et à juste titre s’interroger sur la légitimité, autre que formelle, du pilotage des « politiques locales d’insertion et de développement ». Car, si l’insertion fait son miel du partenariat, notion douce pour ne pas dire psychoaffective réconciliatrice (quitte à fréquemment être ectoplasmique), l’insertion est également un « champ » au sens le plus bourdieusien : un espace de conflits, de rapports de force, d’intérêts divergents et contradictoires… « La structure du champ est un état du rapport de force entre les agents ou les institutions engagés dans la lutte ou, si l’on préfère, de la distribution du capital spécifique qui, accumulé au cours des luttes antérieures, oriente les stratégies ultérieures. » (5). Et là… ce n’est pas gagné ! Tant avec les « partenaires », aussi malmenés donc défensifs qui peuvent soupçonner les missions locales de volonté hégémonique, qu’en interne avec des voix discordantes comme on a pu le constater lors du contrat d’autonomie. Si donc existe, sans interprétation possible, une légitimité des missions locales pour garantir l’accompagnement des jeunes en insertion, ce sur la base de l’approche globale, il reste à imaginer les modalités collégiales de ce pilotage que l’on ne peut concevoir à l’échelle des territoires qu’avec l’arbitrage des élus. L’expérimentation des maisons de l’emploi – qui ne sont cependant que « de l’emploi », parfois en sus « de la formation » – fournit sinon un modèle du moins une orientation. Reste à se mettre d’accord sur les places respectives. Mais on pourrait aussi déplacer la perspective et partir des jeunes plutôt que des structures : maison des jeunesses et de l’insertion ? Tant qu’à faire, organisée décisionnairement avec les jeunes ? « Il faut, au fond, proposer des projets invraisemblables. » Qui dit cela ? Gagné ! Bertrand Schwartz (6). C’est plutôt bien de conclure avec lui sur les fondamentaux, non ?

(1) Bertrand Schwartz, 1981, L’insertion professionnelle…, op. cit.

(2) Bertrand Schwartz, « La formation : une invitation permanente », Parcours n° 9/10, 1994, Les Cahiers du GREP Midi-Pyrénées, p. 19.

(3) Pour les FJT, l’Union nationale pour l’habitat des jeunes www.ufjt.org/  pour les centres sociaux, la Fédération des centres sociaux de France, http://centressociaux.wordpress.com/  

(4) (sous la direction de) René Ballain, Dominique Glasman et Roland Raymond, Entre protection et compassion. Des politiques publiques travaillées par la question sociale (1980-2005), 2005, Presses Universitaires de Grenoble.

(5) Alain Accardo, Pierre Corcuff, La sociologie de Bourdieu, 1986, Le Mascaret, p. 73.

(6) Bertrand Schwartz, 1994, op. cit., p. 12.

Une dépêche de l’AEF (Agence Emploi Formation) de vendredi 26 septembre annonce : « Budget 2009: les crédits en faveur de la lutte contre le chômage en baisse de 624 millions d’euros »… les premiers lignes succédant à ce titre étant  « Amplifier la mobilisation contre le chômage, réaliser l’unification du service public de l’emploi, favoriser l’emploi des jeunes, développer l’emploi des travailleurs handicapés et « mettre un terme au sous-emploi des seniors »: tels sont les axes prioritaires d’intervention retenus par le gouvernement pour les politiques publiques de l’emploi prévues par le projet de loi de finances pour 2009, présenté en Conseil des ministres vendredi 26 septembre 2008 au matin. La mission budgétaire « Travail et Emploi » ne fait pas partie des priorités gouvernementales… » Nuance : un « axe prioritaire » n’est pas une « priorité gouvernementale ».

Plus tu pédales moins vite…

Un seul pédago-politologue n’y suffira pas, un bataillon est nécessaire… et sacrément convaincants ! Car les paradoxes ne manquent pas. Ainsi, « Bercy confirme que la situation de l’emploi ne va pas s’améliorer d’ici fin 2008. Un mouvement de dégradation est attendu au cours des deux derniers trimestres de l’année… », ce qui ne semble absolument pas contradictoire avec le fait que le projet de loi de finances (PLF) pour 2009 « prévoit de doter la mission « Travail et Emploi » de 11,82 milliards d’euros de crédits de paiement, soit une diminution de 660 millions d’euros par rapport à 2008. » Logique à toute épreuve, imparable… puisque le chômage monte, on réduit les moyens pour lutter contre lui : « La réduction des moyens de la mission « Travail et Emploi » traduit les réformes engagées dans le champ de cette politique publique pour l’adaptation à un contexte de chômage plus bas mais parfois plus persistant ». C’est une évidence que connaissent parfaitement les acteurs de terrain : plus le chômage est de longue durée, plus on en sort rapidement et, subséquemment, moins cela nécessite de moyens. Aussi simple que « plus tu pédales moins vite, moins t’avances plus doucement » (et vice-versa).

Sémantique…

Et cela continue : les moyens « seront recentrés sur les personnes les plus éloignées de l’emploi. » Pour preuve ? « Le programme « Accès et retour à l’emploi » est le plus touché : avec 5,81 milliards d’euros de dotation pour 2009, il accuse une baisse de 624 millions d’euros. Ce programme concentre l’essentiel des actions de l’État consacrées à la lutte contre le chômage, notamment en faveur de publics en difficulté. Il comprend les subventions au service public de l’emploi (en particulier le nouvel opérateur ANPE-Assédic, l’Afpa et les maisons de l’emploi). Il finance les actions de construction de parcours vers l’emploi durable, à travers les contrats aidés et l’accompagnement des publics fragiles (jeunes, personnes handicapées), ainsi que le régime de solidarité des demandeurs d’emploi… » Donc « recentrer » est synonyme de « diminuer ». Ce n’est somme toute qu’une question de sémantique. Il suffit de le savoir.

Clairvoyance stratégique…

Cerise sur le gâteau, le programme « Amélioration de la qualité de l’emploi et des relations du travail », c’est-à-dire celui qui concerne le dialogue social, est amputé d’un tiers de ses moyens votés pour 2008. Compte-tenu du climat social qui se prépare, c’est assurément un choix mûrement réfléchi.

Schizophrène…

L’École de Palo Alto, à qui l’on doit l’injonction paradoxale, disait qu’on a de fortes chances de sortir schizophrène d’un tel système de « double-lien » (double bind). Il faut s’enquérir du budget des hôpitaux psychiatriques. C’est raconté dans un des premiers films de Ken Loach, Family Life (1971). Qui finit mal.

On y arrivera ! Avant-dernier volet de ma contribution sur la Charte de 1990. Après le partenariat et le territoire (1/4), l’approche globale (2/4), aujourd’hui l’innovation et nous conclurons – sans trop tarder – par le développement.

L’innovation : un devoir, pas une option…

« En s’appuyant sur les potentialités locales, les partenaires se doivent d’innover. » (point 9), est-il écrit. Que l’on entende et s’entende bien : « se doivent » et non « peuvent » innover, ni « innovent s’ils en ont envie, s’ils ont le temps… » L’innovation est bien un devoir, un élément du « socle commun » pour reprendre la terminologie de l’Éducation nationale, pas une option. Ce qui pose a minima quatre questions.

Édicter la transgression…

L’innovation, par définition, déborde la règle. Elle peut même la contredire. Que la règle – cette charte – édicte une obligation susceptible de la transgresser n’est donc pas banal. On retrouve derrière cet attachement – pour ne pas dire acharnement – à l’innovation la philosophie de l’action Bertrand Schwartz… qui l’a fait considérer par certains au Conseil de l’Europe comme, selon ses termes, « un gauchiste, sûrement ! Ou même un anarchiste… » (1) Cette innovation « dans le système » est une des quatre situations exposées dans Éducation permanente : « L’innovation se développe en marge du système, qui cependant l’accepte et même souvent la téléguide, la « protégeant » par des institutions de recherche et par le label « expérimental ». » (p. 75). Mais il s’agit moins d’instituer une recherche – encore qu’à la fonction d’observatoire doit être accolée celle de laboratoire (d’idées), sauf à observer pour observer, et l’on est donc bien dans de la recherche appliquée – que de mettre en place les conditions d’une (r)évolution permanente luttant contre la routine et qui fait dire à Bertrand Schwartz : « C’est tout le problème de l’innovation. {…} Une mission locale, ça ne devrait jamais compter plus de dix ou quinze personnes. Au-delà, la dynamique est étouffée par la bureaucratie. De plus, je pense qu’on ne peut pas travailler indéfiniment dans la même mission locale. Il est important de rester soi-même dynamique, je veux dire, confronté à la nouveauté. La routine tue ce genre d’entreprise. » (2) Plus historiquement, le devoir d’innovation se rattache à l’idée du changement social de l’Éducation populaire, à l’obligation morale de lutter contre les injustices, spécifiquement ici celles qui affectent les jeunes. On comprendra que tant la transgression des règles que l’esprit du changement social – qui appellent des acteurs engagés – peuvent poser quelques difficultés à celles et ceux qui préféreraient des petits soldats correctement alignés… Il y a en mission locale une vertueuse tension entre une loyauté dans la mise en œuvre de politiques publiques et un devoir d’indiscipline… oui, aussi étonnant que cela le paraîtra à certains. Cette indiscipline n’est pas « caractérielle » mais éthique et pratique. Elle est issue de ce principe de changement social (lui-même fondé sur une maxime comme celle de ce blog) et du transdisciplinaire qui est nécessairement indisciplinaire… « Si l’indiscipline était inacceptable, nous n’aurions aujourd’hui ni Code du Travail, ni droit à l’avortement, mais les Tables de la Loi. La vérité dans la complexité est le contraire d’un raisonnement idéologique : la vérité n’est exclusivement ni dans le droit, ni dans la révolte ; elle est dans ce que le droit permet l’indiscipline et dans ce que celle-ci fait progresser le droit. » (3). Négociation – « Les acteurs de l’innovation savent composer avec les institutions stables. » (4) , l’innovation n’est jamais une chose acquise ; condamnée à réussir pour être tolérée alors même qu’elle est aléatoire, elle est difficile… plus encore : elle est périlleuse et inconfortable. Et, pourtant, elle est un devoir.

La permanence des difficultés…

Pourquoi, au fait, doit-on innover ? Tout simplement parce que le « droit commun » ne suffit pas. Il suffit, pour s’en convaincre, de constater la permanence, sinon le caractère « structurel » pour reprendre ce qu’écrit Pierre-Jean Andrieu (cf. « Un ancien DIIJ et le RIJ »), des difficultés d’insertion pour les jeunes. En d’autres termes, ni bien sûr le marché pur et sa grâce aussi homéostatique qu’hypothétique (« la main invisible »), ni les multiples dispositifs conçus par les pouvoirs publics suffisent. On est donc contraint, au double titre d’une responsabilité intergénérationnelle et d’une éthique (déontologie pour les professionnels) de responsabilité, de concevoir de nouvelles solutions sociales.

Rarement Eurêka…

Autre question, qu’est-ce qu’innover ? Dans son point 9, la Charte de 1990 fournit des éléments de réponse, parlant d’ « émergence de pratiques nouvelles », d’ « expérimentation de nouvelles réponses » et de « la diffusion et la valorisation de ces innovations afin d’enrichir les politiques d’insertion locale et professionnelle conduites aux niveaux national, régional et départemental. » Reste que cette « émergence » n’est pas celle des champignons en automne, ni celle d’Archimède dans son bain ou de la pomme de Newton… Des conditions doivent être réunies, car l’émergence se prépare sur un terrain labouré, entretenu, bichonné. Mais que cela signifie-t-il ? Essentiellement, la veille : « se tenir informé des idées, problématiques, expériences relatives à l’insertion des jeunes… Collecter et mettre à jour l’information dans des domaines spécifiques (santé, logement, emploi, formation, accès aux droits…) par la consultation de revues spécialisées, de sites Internet, par des échanges entre professionnels, pour assurer une veille ou en réponse à une demande particulière », est-il écrit dans « l’axe 4 » de la convention collective nationale. Veiller, c’est-à-dire observer ce qui se réalise, dans le réseau et ailleurs, puis analyser les réussites, lisser leurs particularités contextuelles pour construire un modèle, recontextualiser celui-ci à partir des particularités du nouveau terrain, expérimenter, mesurer, corriger… pour transformer l’innovation en règle ordinaire de fonctionnement. Des expérimentations à l’expérience. Voilà le processus de l’innovation auquel s’ajoutent la communication et la diffusion : règle de la réciprocité des dynamiques de réseau, on tire bénéfice des innovations des autres (rétribution), donc on communique ses propres avancées (contribution). Et la roue tourne (5).

Comment avez-vous trouvé l’innovation ? Par hasard…

Innove-t-on en mission locale ? Le Centre d’études de l’emploi avait publié en 2005 une étude, Les missions locales et l’innovation (6), constatant que, « évoluant depuis leur création dans un environnement incertain, tant du point de vue des attentes de leur public que des contraintes institutionnelles émanant des pouvoirs publics, les missions locales et PAIO constituent le plus souvent, non des organisations solidement constituées, mais plutôt des structures fragiles, obligées de s’adapter en permanence à un environnement mouvant pour survivre et poursuivre leur mission. Dans ce contexte, l’innovation, c’est d’abord l’adaptation permanente. » Si le constat est juste, peut-on pour autant se satisfaire d’une innovation globalement déterminée par l’incertitude et purement synonyme d’adaptation ? On ne serait guère éloigné à ce moment d’une conception selon laquelle le génie créateur nécessiterait la précarité… le poète misérable, maudit (si possible, imbibé d’absinthe). Pour innover, et c’est à mon sens une condition nécessaire, il faut au contraire être (r)assuré, ne pas mobiliser toutes ses forces pour faire face à un présent menaçant, être en capacité de se projeter. Il faut également du temps… mais combien de missions locales garantissent-elles à leurs équipes des temps effectifs de veille ? Aléatoire, l’innovation en mission locale est présente ici et absente là, très peu mutualisée… a fortiori depuis la suppression de la DIIJ qui recueillait des bonnes pratiques. On est donc dans un système où l’innovation – alors même, répétons-le, qu’elle est un devoir – est la chose la moins bien partagée. A l’échelle des cinq cents missions locales, de nombreuses innovations peuvent être recensées (7) mais, si l’intérêt d’une innovation est bien double : transformer l’expérimentation en expérience et diffuser pour amplifier le changement, force est de constater que le réseau a devant lui – délicat euphémisme – des « marges de progrès ».

Le Centre d’Études de l’Emploi, dans sa synthèse, écrivait également : « En revanche, dans les missions locales enquêtées, la présence de jeunes dans des instances délibératives ou décisionnelles reste le plus souvent à l’état de débats entre les conseillers. » Parce que l’innovation appelle la multiplication des perspectives, dont en premier lieu celle des jeunes, et parce qu’il y a là en plus un enjeu de cohérence interne avec l’ambition de citoyenneté, cette participation des jeunes pourrait être un excellent chemin vers l’innovation. Mais c’est (encore) une autre histoire sur laquelle il nous faudra revenir… (8)

 

 (1) Louise L. Lambrichs, L’invention sociale. A l’écoute de Bertrand Schwartz, 2006, éditions Philippe Rey, p. 89. Cet épisode avec le Conseil de l’Europe renvoie à un rapport que Bertrand Schwartz a présenté au Conseil de la coopération culturelle le 10 avril 1978, Éducation permanente. Ce rapport fût considéré comme un brûlot et ne fût pas publié, ni même accessible. Il l’est, caché dans les méandres de l’archivage numérique, depuis trois ans seulement… 

(2) id. p. 125. J’ai déjà exprimé des réserves sur cette opinion… Il existe des petites missions locales atones alors que d’importantes missions locales sont innovantes, comme on rencontre d’anciens conseillers dynamiques et des nouveaux conseillers plan-plan…

(3) Philippe Labbé in Info-Carif, La professionnalité en marche dans les missions locales, mai 2006, La Réunion.

(4) Norbert Alter, L’innovation ordinaire, 2003, PUF, p. 19.

(5) Ce processus, de la conception à l’application après l’expérimentation, la mesure et la correction, est souvent présenté sous le nom de « Roue de Deming », du nom du statisticien William Edwars Deming, promoteur de la méthode qualité « PDCA » (Plan-Do-Check-Act).

(6)  Cécile Baron et alii…, Centre d’études de l’Emploi.  Une synthèse de cette étude a été publiée par la DARES dans Premières Informations Premières Synthèses, « L’inventivité au quotidien des missions locales et PAIO », n° 34.1, août 2005 (http://www.travail-solidarite.gouv.fr/etudes-recherche-statistiques-dares/etudes-recherche/publications-dares/premieres-informations-premieres-syntheses/2005-34.1-inventivite-au-quotidien-missions-locales-paio.html ).

(7) Les publications de Dexia sur le thème de la citoyenneté fournissent de bons exemples d’innovations.

(8) Avec Michel Abhervé, dans L’insertion professionnelle et sociale des jeunes ou l’intelligence pratique des missions locales (Apogée, 2006), nous écrivions dans la conclusion, « De quelques enjeux », et sous le titre « La citoyenneté et la participation des jeunes » : « Car un système qui refuserait d’entendre l’appréciation critique de ses usagers, devenus acteurs, et même plus, d’organiser les conditions de cette expression serait menacé de totalitarisme… » (p. 147).

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Publié: septembre 28, 2008 dans 1

Quelques nouvelles sur la fréquentation de ce blog, le back-office. Pour la transparence. 

Tongs et chocolat…

Depuis sa création à la mi-mai 2008, presque 21 000 « visionnements » ont été comptabilisés (les miens n’étant pas pris en compte, évidemment). Vous êtes en moyenne entre 350 à 400 chaque jour à venir fureter – la journée la plus active a enregistré 505 visiteurs. A ceci s’ajoutent les consultations à partir des « liens entrants » (www.wikio.fr/, etc.). On a logiquement observé un infléchissement durant la trêve des maillots de bain et l’on s’attend à un autre pour la trêve des confiseurs. Ainsi va la vie de tongs en chocolat.

Pas d’incidence sur l’efficience…

Depuis mai et hormis août, la courbe de fréquentation mensuelle croît régulièrement, avec pas loin de 6000 visionnements en septembre contre 3600 en mai, 4500 en juin… Les jours de la semaine se suivent et ne se ressemblent pas… sinon la pause dominicale bien en creux (une centaine de visites). Entre midi et 14h et le soir, voilà les deux moments de la journée où vous êtes le plus présents… à affiner compte-tenu des amis réunionnais (au sud) et québécois (à l’ouest) : deux et six heures de décalage. Pour l’Hexagone, les heures du déjeuner et dîner, c’est plutôt bon : je ne serai pas accusé d’infléchir l’efficience des missions locales.

Renoncement…

121 « billets » – trop longs, je sais… – sont proposés à cette date sur ce blog, à raison d’une contribution par jour ou tous les deux jours – trop fréquent aussi… je sais. Celles-ci ont justifié 59 commentaires, inclus dans ce blog (et désormais mieux accessibles grâce à mon Saint Martin internaute), 51 autres ayant été jugés « indésirables » (sic) par cette étrange machine. Je suis cependant allé voir ce qui justifiait cette élimination hétéronome et force m’est de reconnaître que le système n’est pas si bête : ce sont des messages étranges, sans aucun rapport avec les écrits, parfois en anglais et avec des caractères spéciaux (symboles, etc.). Aucun commentaire critique n’a été écarté. Évidemment.

Je vous dirais bien quelles sont les contributions les plus lues – où sont vos centres d’intérêt – d’autant que cela me serait bien utile… mais ce qui est affiché ne comptabilise que les billets les plus lus depuis quelques jours. Pour connaître vos visites depuis le début du blog, il me faudrait interroger cette machine article par article, soit 121 fois ! Je renonce. A chacun ses lâchetés.

Poursuite…

Mes sources, outre la presse nationale quotidienne, sont banalement les revues professionnelles, les rapports officiels, les ouvrages qui s’empilent, les sites points de passage obligé (DARES, Cereq, CEE, etc.), les publications du réseau des missions locales, de l’UNHAJ, des centres sociaux, de l’IAE… et les blogs : Docinsert, Informer autrement, Emploi et Création, Michel Abhervé… De façon générale, vos retours sont encourageants et, comme la matière ne manque pas, je continue à (joyeusement) mixer humeur, information, critique, position et proposition… sans pour autant m’aventurer à pronostiquer combien de temps, à quelle fréquence, etc. Qui vivra…