Archives de septembre, 2009

Comparatif, Benoît Hamon, porte-parole du Parti Socialiste, juge que  « Nicolas Sarkozy est un menteur », ajoutant « On creuse les déficits par le bouclier fiscal et on n’investit pas dans l’emploi des jeunes. » Pour mémoire, le plan jeunes mobilise(rait) 650 millions d’euros, soit un peu plus que les sommes remboursées par l’administration au titre du bouclier fiscal qui se sont élevées à 458 millions d’euros.… mais pour la seule année  2008.   Le même Benoît déclare « Il aurait fallu une allocation d’autonomie pour les jeunes. » C’est évident. Ethiquement.

Judicieux, Jean-Baptiste Prévost, président de l’UNEF, estime qu’ « on est loin de l’objectif affiché qui était de redessiner un nouveau pacte entre les jeunes et la société. {…} Les jeunes n’ont pas besoin d’incitation à travailler mais ils ont besoin de boulot. » Ce en quoi, il n’a pas tout-à-fait tort… si l’on exclut l’argument du regretté Coluche : « On ne veut pas travailler, on veut juste un salaire ! »

Insatisfait, Gérard Aschieri, secrétaire général de la Fédération syndicale unitaire (FSU, premier syndicat de l’éducation), estime que les annonces de Nicolas Sarkozy ne sont pas « à la hauteur d’une vraie ambition pour la jeunesse. {…} Les questions financières sont très limitées. Il y a une mesure intéressante qui est le 10ème mois de bourse, mais ça ne fait pas une politique. {…} On ne répond pas à la question de l’autonomie des jeunes, notamment sur la question financière. » 20% des jeunes vivent en-dessous du seuil de pauvreté. Pour mémoire.

Prudent, Thierry Cadart est le secrétaire général du SGEN-CFDT. Pour lui, « il y a des éléments, des mesures intéressantes », citant notamment l’extension du RSA aux moins de 25 ans, le dixième mois de bourse étudiante ou le doublement de l’aide complémentaire santé. « Mais il faudra examiner le financement », a-t-il ajouté. Avec autant d’attention que celui des cafetiers bénéficiaires de la baisse de la TVA ? Soit, pour ceux-ci, 2,35 milliards d’euros : 4,7 fois plus que le « plan Marshall » pour la jeunesse. Les jeunes n’ont qu’à devenir bistrotiers. CQFD.

Exigeante, la CFDT considère que « dispersées dans leur mise en oeuvre, et restrictives, en particulier sur le RSA, ces annonces n’ont pas le souffle d’une grande ambition pour la jeunesse. {…} L’ouverture partielle du RSA aux jeunes salariés répond à l’exigence de la CFDT de mettre un terme à la discrimination injuste subie par les jeunes de moins de 25 ans dans l’accès aux prestations sociales. Cependant, la restriction apportée (avoir travaillé deux ans dans les trois dernières années) risque de limiter très fortement la portée de cette mesure. » Avantage collatéral : peu de dossiers RSA à monter en mission locale, c’est toujours ça de pris.

Poétique (le bouquet), la CGT déclare que « Les mesures annoncées par le président de la République en faveur des jeunes ressemblent plus à un bouquet de propositions mal ficelées qu’à une politique qui favoriserait véritablement l’insertion des jeunes dans le monde du travail.{…} Même si certaines mesures annoncées peuvent aider certains jeunes à percevoir une indemnité comme le RSA, les conditions requises pour en bénéficier sont si restrictives (…) que très peu de monde au bout du compte en bénéficiera. » Idem CFDT : unité syndicale. Tous ensemble, tous ensemble, tous…

Aux ordres, Rémi Martial, délégué national de l’Union nationale inter-universitaire (UNI, syndicat étudiant classé à droite) applaudit : « Il a tourné le dos à l’assistanat. Il oppose l’assistanat et la dépendance à la liberté et à la responsabilité. {…} Une grande partie de son discours est tournée vers les jeunes en grande difficulté », notamment « la lutte contre les décrocheurs », la « dédramatisation de l’orientation » ( ?) et « la volonté de développer l’alternance ». Dédramatiser l’orientation ? Un lecteur pourrait-il l’expliquer ?

Énervé, le Mouvement des jeunes socialistes (MJS) : « Encore une solution au rabais ! {…} Le RSA est un alibi pour les entreprises peu scrupuleuses de sous-payer des sous-salariés. Et autoriser le sous-paiement des jeunes via un RSA Jeunes n’aura qu’une seule utilité : trafiquer les chiffres du chômage à la baisse alors que les emplois à temps très partiels ou payés au lance-pierre feront loi. » Pas faux.

Littéraire, Cécile Duflot, secrétaire nationale des Verts, pour qui  « Sarkozy fait du vieux avec les jeunes » puisque, entre autres, « L’interdiction des stages hors cursus existe déjà », Egalement réaliste, Cécile note que « le RSA jeune limité aux jeunes ayant travaillé deux ans est un petit pas, mais concerne de fait une petite minorité. La timide expérimentation d’un revenu d’autonomie est intéressante, mais n’est suivie d’aucune précision. Il faut aller plus loin et généraliser un revenu d’autonomie englobant les multiples aides aux effets controversés (bourses, quotient familial, allocations familiales, APL). » Cf. Benoît Hamon : l’union de la gauche progresse.

Mécontent, le Parti communiste condamne : « Les mesures annoncées aujourd’hui, loin de constituer un Plan Marshall, nous inspirent une seule réflexion : décidément, on achève bien les jeunes !  {…} La multiplication prévue de contrats aidés à temps partiel sera inefficace, injuste et renforcera la précarité. Et, après le contrôle des chômeurs par la réforme de Pôle emploi, c’est le contrôle des jeunes que veut organiser le président par sa réforme du service public d’orientation. L’extension annoncée du RSA aux jeunes de 18 à 25 ans sous condition d’avoir travaillé deux ans sur les trois dernières années concernera quant à elle moins d’un jeune sur dix. L’octroi d’un dixième mois de bourse ne concernera lui qu’un étudiant sur dix. » Les statistiques ne sont pas que la science de l’erreur.

Mécontents aussi, les Jeunes Verts pour qui « Ce dispositif très limité montre un flagrant manque d’ambition. C’est une mesure qui n’est pas à la hauteur de la précarité des jeunes. {…} Pour toucher le RSA jeunes, il faut avoir travaillé au moins deux ans. Le nombre de jeunes concernés est évalué à 160.000, soit un peu plus de 2% des 8,18 millions de 16-25 ans en France. Rien n’est prévu pour les 1,2 million d’étudiants. Rien pour les 350 000 jeunes en IUT ou en STS.. »

Pschitt ?

Plan Marshall pour la jeunesse ? Suspens…

C’est donc ce jour mardi que notre président va déclarer sa flamme à la jeunesse. Gageons qu’il saura trouver les mots : pour une fois, Hervé Guaino ne lui écrira pas son discours puisque, selon Le Figaro, Carla Bruni-Sarkozy « lui a fait rattraper son retard » : interrogé avant son élection sur les ondes de SkyRock, Nicolas Sarkozy avait avoué qu’il ne savait pas ce que « oinj » voulait dire en verlan. « Joint », avait traduit l’animateur Difool, surpris d’une telle ignorance du « parler jeune ». Il parlera donc jeune, c’est entendu avant même d’être émis, et probablement tout cela commencera par une séquence émotions illustrée de constats qui n’étonneront que ceux qui veulent être étonnés (« Ils ont les dettes des vieux sur le dos, et le taux de pauvreté est deux fois plus élevé pour eux que pour les autres tranches d’âge», comme le rappelle le haut-commissaire à la Jeunesse), à laquelle succèdera une séquence interpellation critique (« impératif national », « devoir d’avenir », etc.), ouvrant la voie à une séquence propositions. On saura donc, entre autres, si le RSA va être élargi aux moins de vingt-cinq ans, si le droit au travail – affirmé pour la première fois, en 1848 par la IIe République et repris dans le préambule de la constitution de1946 qui affirme « Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi » et par notre constitution actuelle – va être effectif. Bref, quel va être « le Plan Marshall pour la jeunesse » promis par celui qui n’était que candidat. Il y a donc deux ans. Un Plan Marshall à retardement. Mieux vaut tard…

Un milliard l’idée…

Le Figaro cette fois Magazine publie « 50 idées pour économiser 50 milliards en cinq ans » par Sophie Roquelle, rédactrice adjointe du même journal, et Cécile Crouzel, journaliste économiste toujours au même quotidien. Ces dames, à coup sûr plus proches de l’UMP que du NPA, semblent bien inspirées par les thèses distillées de l’IFRAP (1), plus proches du sélect Club de l’Horloge (2) que du champ de bataille de la rue Solferino. Il y en a pour tous. Florilège… et encore, ne sont cités que des extraits pour une quinzaine d’idées. C’est (largement) suffisant et, après, à chacun de se faire son opinion.

1ère idée, « Revoir les hausses de salaires des fonctionnaires » : « … les fonctionnaires restent des privilégiés : protégés du chômage par leur statut, leur masse salariale augmente en moyenne chaque année de 3%… »

2ème idée : « Halte aux faux arrêts maladie ! » : « L’absentéisme est plus élevé dans la fonction publique que dans les entreprises : 13 jours en moyenne contre 12… »

8ème idée : « Supprimer les doublons » : « Il n’y a plus de secrétariat d’Etat à la Condition féminine, mais son administration subsiste. Le Service des droits des femmes et de l’égalité (SDFE), c’est une vingtaine de millions d’euros de budget… »

9ème idée : « Faire maigrir les mastodontes parapublics » : « Ces organismes, aussi divers que Pôle emploi, les universités, les musées, les agences de l’eau, le CNRS, les agences régionales d’hospitalisation, totalisent 28 M€ de budget. Au CNRS, par exemple, une baisse d’effectifs de 10 % économiserait 200 M€… »

10ème idée  : « Profs : décharge horaire, charge budgétaire » : « Le mammouth fait des efforts pour perdre sa graisse (16 000 postes en moins en 2010), mais il subsiste des gisements d’économies à l’Education nationale… »

19ème idée : « Multiplier les franchises et dérembourser » : « Les déremboursements de ces dernières années n’y ont rien fait : le taux de prise en charge des dépenses de santé par l’assurance-maladie reste proche de 80 %, le même depuis des années et le plus élevé au monde… »

23ème idée : « Refondre le système des affections longue durée (ALD) » : « Il existe une liste de 32 maladies au long cours (diabète, cancer, maladies cardio-vasculaires…) pour lesquelles tous les traitements sont remboursés à 100 %, sans ticket modérateur. Avec le vieillissement de la population, le système explose… »

24ème idée : « Réformer l’aide médicale d’État (AME) » : « Depuis 2002, tous les gouvernements ont renoncé à réformer en profondeur ce mécanisme qui prévoit la gratuité des soins pour les sans-papiers… »

36ème idée : « Recentrer les aides à l’emploi » : « Près de 28 M€ d’allègements et d’exonérations de charges sociales et toujours plus de chômage. N’y a-t-il pas quelque chose qui cloche ? La Cour des comptes a recommandé de « mieux les cibler sur les emplois les moins qualifiés et sur les entreprises qui en ont le plus besoin et d’engager de nouvelles évaluations de leur effet sur l’emploi ». Parmi les aides à l’utilité douteuse : celles liées aux créations d’emplois dans certains territoires (zones franches, zones rurales, DOM-TOM…). »

37ème idée : « Réduire le coût des heures sup » : « Travailler plus pour gagner plus, c’est bien. Mais pourquoi ne pas avoir carrément supprimé les 35 heures ? »

39ème idée : « Travailler plus longtemps » : « Les Pays-Bas l’ont fait, les Allemands y songent : repousser l’âge de la retraite à 67 ans est une idée qui gagne du terrain en Europe… »

45ème idée : « Plafonner les aides sociales à Mayotte » : « Plus de 17 M€ de transfert d’argent public vers les DOM-TOM et combien en plus demain ? Car les habitants de Mayotte ont voté cette année la transformation de leur île en département… »

48ème idée : « Pompiers : halte au feu ! » : « Ils sont intouchables et pourtant… Les députés ont mis les pieds dans le plat cet été. Selon eux, tout est à revoir dans l’organisation des services départementaux d’incendie et de secours (Sdis) : sureffectifs (+ 25 % en dix ans pour une hausse des interventions de 5 %) et sous-travail (89 gardes de 24 heures par an) caractérisent la profession… »

50ème idée : « Appliquer au minimum le Un sur Deux » : « Bientôt, il y aura autant de fonctionnaires territoriaux (1,7 million) que de fonctionnaires d’Etat (2,2 millions)», s’inquiète le député Charles de Courson. A l’heure où l’Etat applique à ses agents la norme du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, on voit mal pourquoi les collectivités locales s’en exonéreraient… »

Avenir radieux…

Enfin… à chacun de se faire son opinion mais n’empêche : on voit ce qui exalte ces dames qui ont sans doute l’oreille présidentielle. Travailler jusqu’au burn-out complet (n°39), en étant moins payé (n°37), avant de vider notre plan d’épargne populaire – bien entamé par les déremboursements (n°19) – pour soigner notre affection longue durée (n°23) à l’hôpital où les pompiers ne nous auront pas amenés (n°48), etc. etc. Quant aux piou-piou des mastodontes parapublics (n°9), ils rejoindront les enseignants dégraissés (n°10), les chargées de mission droits des femmes virées (n°8), les fonctionnaires éjectés (n°1), etc. Tous vrais surnuméraires qui partageront une communauté de destin avec les Mahorais (n°45), les sans-papiers et sans-soins (n°24).

Et un Plan Marshall pour calmer Sophie Roquelle et Cécile Crouzel, ça ne serait pas envisageable ?

(1) L’IFRAP d’était distingué il y a quelques années avec un numéro titrant « Les jeunes, prisonniers des missions locales ».

(2) « Le Club de l’Horloge se définit comme un cercle de réflexion destiné à apporter des idées à la droite française. Il prône une « synthèse national-libérale [pour] faire pièce à l’idéologie dominante » Il défend le « libéralisme intégral » en matière économique… » C’est tout dire.

La CGT Missions locales et PAIO vient d’informer ses adhérents de la « petite loi », c’est-à-dire d’un texte de loi débattu au Sénat avant son retour à l’Assemblée nationale, portant modification de la loi sur l’orientation et la formation professionnelle actuellement en débat. L’article 13 « nonies » (c’est-à-dire, parlant d’un article de loi,  « neuvième », avant « decies » et après « octies »… certes ce n’est pas fait pour être compris) est ainsi rédigé :

« Les résultats obtenus par les missions locales en termes d’insertion professionnelle et sociale, ainsi que la qualité de l’accueil, de l’information, de l’orientation et de l’accompagnement qu’elles procurent aux jeunes sont évalués dans des conditions qui sont fixées par convention avec l’État et les collectivités territoriales qui les financent. Les financements accordés tiennent compte de ces résultats. »

La CGT, se félicitant à juste titre, précise « Jusqu’alors aucun texte à caractère législatif ne stipulait les sources de financement du réseau … c’est chose faite. Cela peut revêtir un caractère essentiel à la veille de la transposition de la directive service  et de la délimitation des SSIG {services sociaux et de santé d’intérêt général}. Par ailleurs on notera que l’aspect qualitatif vient pondérer les éléments quantitatifs. » Certes, camarades, mais tout n’est pas gagné…

De quoi s’agit-il ? D’évaluer les missions locales. L’évaluation est légitime, le bon usage des fonds publics dans une perspective de système, la démonstration des valeurs ajoutées produites, donc la reconnaissance, dans une perspective d’acteurs. Comment évalue-t-on les missions locales ? Formellement par un indicateur considéré comme synthétique, l’accès à l’emploi auquel on ajoute par raffinement deux qualificatifs (« critères ») : « rapide » et « durable ». Rapide pour le temps de l’accès à l’emploi (question d’efficience), durable pour le type de contrat (on vit, plus de trente ans après la fin des trente glorieuses, sur les représentations fordistes). Ces deux critères sont hétéronomes, s’imposant de l’extérieur sans que les professionnels n’aient réellement de prise sur eux : qu’est-ce qui en effet détermine la durée d’un parcours ? La situation du jeune et sa capacité à travailler ou le conseiller ? L’état du marché du travail ou encore le conseiller ? Qui détermine la durabilité de l’emploi ? L’employeur ou le conseiller ? Les réponses, évidentes, n’appellent pas de commentaires supplémentaires et tout au plus pourra-t-on considérer que l’influence du conseiller pour un jeune accédant rapidement à l’emploi aura reposé sur sa capacité à jouer dans les interstices, à vendre telle ou telle mesure ou exonération. Raisonner différemment reviendrait à considérer que le chômage est une problématique individuelle, absolument pas un fait de société. Car, s’il l’était, l’évaluation d’une réussite ou d’un échec ne serait de toute évidence que l’évaluation d’une situation atypique. Si l’on veut évaluer, il faut évaluer le marché, sa capacité d’intégration ou d’exclusion.

Si, bien sûr, on n’évitera pas l’évaluation mécanique (combien de jeunes accédant à l’emploi ?), il faut être conscient que la « bonne », en tout cas juste, évaluation est beaucoup moins à penser en termes de résultats que de réalisations. Penser l’évaluation exclusivement sur les outputs (sorties) et corréler ceux-ci aux professionnels et aux structures est, une fois de plus, un raisonnement qui se veut pragmatique mais qui est simpliste… pour les raisons – et d’autres – indiquées (l’hétéronomie). On ne reprochera ni aux professionnels ni à leurs structures de s’arc-bouter sur les sorties en emploi, voire de s’en satisfaire : après tout, elles sont une démonstration d’efficacité… mais elles sont tout autant contingentes, déterminées par l’environnement. Certes, on peut favoriser cet effet de l’environnement (en se rapprochant du monde économique, en tentant d’anticiper un peu sur les recrutements, en développant son capital social pour le transférer au jeune) mais l’essentiel – embauche ou pas – est dans d’autres mains que celles des conseillers. Ceci signifie – il faut en être conscient – qu’en évaluant les missions locales sur la base des jeunes accédant à l’emploi, on ne mesure qu’une partie marginale des déterminants qui permettent cet accès.

Mais alors que signifierait évaluer plus sur les réalisations que sur les résultats ? A peu de choses près ce qui est introduit dans cette « petite loi », c’est-à-dire « la qualité de l’accueil, de l’information, de l’orientation et de l’accompagnement ». On est donc là dans des valeurs ajoutées indirectes, autrement dit des valeurs ajoutées à partir desquelles on imagine que seront produites ultérieurement des valeurs ajoutées directes, dont le bénéficiaire sera le jeune. Le raisonnement est ainsi : dès lors que l’on a compris que la relation humaine – l’accompagnement d’un jeune en parcours d’insertion professionnelle et sociale – ne pouvait s’équationner en « A sur B = C », donc que l’on accepte l’aléatoire (« une chance à saisir », selon Edgar Morin), le prime au C, on déplace l’objet de l’évaluation du résultat sur les conditions qui permettent tel ou tel résultat, posant l’hypothèse (a priori tenable) que meilleures seront les conditions de l’accompagnement, meilleures seront les chances de l’insertion. A l’inverse, si l’accompagnement du professionnel s’apparente à la théorie du bordel ambiant (ouvrage jubilatoire de Moreno, l’inventeur de la carte à puce), on imagine que ses effets pourront être tout aussi favorables que désastreux. En conséquence et sauf délire prométhéen, on ne maîtrise pas le résultat mais par contre on peut maîtriser les conditions qui favoriseront un bon résultat. Ceci s’appelle « l’assurance de la qualité ». Reste, une fois dit, à s’entendre sur les conditions de l’évaluation de cette assurance de la qualité.

C’est donc à suivre…

Goyave de France

Publié: septembre 23, 2009 dans Actualité: pertinence & impertinence

Une contribution d’Edmond Albius (1) sur « Le politique, espace de l’engagement sociétal » paru le 18 septembre, qui mérite, à mon sens, une surexposition que ne favorise pas l’emplacement sur ce blog des commentaires. Contrairement à ce que pourraient imaginer certains, mon analyse de la situation politique réunionnaise, élargie à plusieurs reprises au périmètre hexagonal, n’est pas une expression épiphénoménale, pas même d’irritation ou de dépit, mais elle invite (ou, du moins, veut inviter) au sursaut (l’engagement politique, le politique) qui, comme ce contributeur le souligne, doit s’appuyer sur les ressources endogènes. Doit s’appuyer prioritairement mais non exclusivement (adverbe dont la racine est « exclusion »). Ainsi le « goyave de France », expression réunionnaise pour se moquer d’importations de la métropole de produits et, par extension, de l’ignorance sinon du dédain des  ressources qui existent sur place, est-il sans conteste une absurdité (non seulement culturellement, ce qui est essentiel, mais même économiquement)… avec deux réserves.

Territoire géographiquement (dé)limité comme toute île, La Réunion ne facilite pas la prise de parole indépendante, l’effet-boomerang menaçant toute tentative de paroles libres et de bonnes mœurs. J’ai quelques exemples en tête. Ainsi le « goyave de France » a-t-il une fonction d’intermédiation… quitte d’ailleurs à ce que les protagonistes locaux se réconcilient et que le prix de leur entente soit le bûcher pour l’intermédiateur, processus cathartique des plus banals.

Seconde réserve issue des enseignements systémiques et même thermodynamiques, comme d’ailleurs indiqué dans mon article : un système doit communiquer avec son environnement sauf à se condamner à l’entropie,  la désorganisation. De la sorte, le développement endogène ne peut ni doit être qu’endogène mais doit recouvrir une alchimie « endogène – exogène ». Là comme ailleurs, ce qui est vivant repose sur l’interaction et sur l’altérité.

Qui bene amat, bene castigat.

Edmond Albius…

« J’ose à peine vous l’écrire sous peine d’être à la manière du Préfet Charbonniaud qui n’avait pas su épargner à notre président un accueil chaleureux à Saint-Lô, muté à Crozet pour m’occuper de l’insertion des manchots, mais je me dois de marquer une certaine addiction à vos propos.

Ainsi, et même si je dois vous avouer quitte à paraître un tantinet érudit ne pas avoir tout « imprimé » à la lecture de votre prose, je partage votre analyse sur notre 2PR (Paysage Politique Réunionnais). Je serais même prêt à étendre votre analyse à leurs complices des hautes sphères qui dirigent administrativement leurs collectivités territoriales.

Pour moi le seul salut ne peut venir que des « Réunionnais du monde » qui comme l’Ulysse de Brassens ont vu cent paysages, et puis ont retrouvé après maintes traversées le pays des vertes années. De leur attitude dépend notre sauvetage. Soit ils reviennent capables d’éjecter la nomenklatura ethnique, politique, familiale et affairiste et dans ce cas, la reconstruction est possible, soit ils entrent dans le moule, et dans ce cas c’est l’une de vos trois solutions qui sera retenue.

Maintenant bien sûr que nous avons besoin aussi de goyaves de France pour avancer, à doses plus homéopathique que par le passé certes, et ceux qui prétendent le contraire ont souvent en ligne de mire l’éventualité de nous placer un goyavier péi véreux assermenté.

Merci Labbé. »

C’est (joliment) dit.

(1) Edmond Albius, un pseudonyme bien sûr, le « vrai » étant l’esclave réunionnais qui a découvert à 12 ans le procédé de pollinisation de la vanille. Malheureusement décédé depuis plus d’un siècle.

Olivier Schwartz (oui-oui, le fils de Bertrand) est sociologue. Il a participé à une table ronde consacrée au thème « Classes, générations, âge », aux côtés de Louis Chauvel et de François Héran, lors du forum Réinventer la démocratie, organisé par La République des Idées à Grenoble en mai 2009. Sa contribution, « Vivons-nous encore dans une société de classes ? », s’appuyait sur trois constats : « l’extension du domaine du désavantage social », l’importance prise par la culture de l’excellence, de la performance et de la compétence, enfin « la tripartition de la conscience sociale dans les catégories modestes ». Cela peut sembler compliqué, ça l’est d’ailleurs mais pas dans l’expression, limpide, d’Olivier Schwartz : dans ce que cela recouvre de facteurs, de processus et d’effets rétroagissants. Je tente l’explication parce qu’il me semble que ce qu’exprime ce sociologue est ressenti par beaucoup. Et je profiterai d’un petit paragraphe pour rappeler un point qui tient au cœur de beaucoup, tous ou presque on peut l’espérer, dans les missions locales.

Les désavantagés…

Avec « l’extension du domaine du désavantage social », Schwartz s’appuie sur Rober Castel pour qui il faut former une « société de semblables », c’est-à-dire vraiment capable d’intégrer l’ensemble de ses membres et qui se donne les moyens de contenir au maximum les inégalités. L’expression « société de semblables » peut ne guère convenir et on peut lui préférer celle de société de l’altérité – reconnaître et vivre avec l’autre différent et de plein droit – et ce n’est pas sans un peu d’effroi qu’on envisage une société de (trop) semblables… car, bien évidemment, ce qui fait le bonheur de la vie est la rencontre avec des gens dissemblables. Ceux qui nous font avancer nous étonnent. Mais enfin, l’expression de Castel reprise par Schwartz n’est évidemment pas à comprendre dans la vision terrifiante du meilleur des mondes d’Huxley (1). De quoi s’agit-il avec ce « désavantage social » ? « D’une grande banalité », c’est Schwartz qui l’écrit, c’est-à-dire de l’existence de groupes désavantagés, en situation vulnérable, exposés au chômage, à la précarité, aux emplois durs et mal rémunérés, à  la relégation… Bref, en un autre mot de Castel, du précariat. Louis Chauvel (qui participait à la même table ronde) écrivait : « Lorsque l’on regarde la société française telle qu’elle est aujourd’hui {…}, on ne peut pas ne pas être frappé par l’étendue du phénomène et par le nombre de groupes qu’il affecte. Il y a d’une part tout un pan des salariés d’exécution du secteur privé : ces ouvriers frappés, aujourd’hui plus que jamais, par le chômage, la marginalisation, le fait de travailler dans des entreprises en déclin, et plus largement par tout ce processus de détérioration de la condition ouvrière… »

Hier mardi, aux informations sur Antenne 2, ce n’était pas les ouvriers mais les paysans : le père et le fils pleurant dans l’étable vide, face au matériel de traite inutile… sauf pour la banque qu’il reste à rembourser, le cheptel vendu pour payer leurs dettes, sans aucune perspective : « Je ne sais rien faire d’autre » disait l’éleveur. Prozac. D’autant plus que ce reportage était précédé d’un autre, l’évacuation de la « jungle » à Calais : matraquage de la misère humaine et ministre transfuge en complet veston arrivant en hélicoptère… Re-Prozac. Incontestablement, le précariat s’étend et, aujourd’hui, il ne recouvre pas que les emplois à durée déterminée ou à temps partiel contraint : les petits salaires ne suffisent plus et, comme l’exprimait Louis Chauvel dans Les classes moyennes à la dérive, « Les classes moyennes sont un peu comme un sucré dressé au fond d’une tasse : si la partie supérieure semble toujours intacte, l’érosion continue de la partie immergée la promet à une déliquescence prochaine et inéluctable. Si les catégories populaires ne vont pas bien en France, elles pourraient se sentir moins seules dans quelques années. » (2) C’était en 2006. Les quelques années sont passées. Le sucre a fondu.

L’urgence sociale incarnée…

C’est à ce stade de la communication de Schwartz que l’on peut s’arrêter un instant : « Et par ailleurs, il y a les jeunes. Les jeunes de familles populaires, bien sûr, d’abord et avant tout, et notamment les jeunes issus de l’immigration. Mais c’est aussi toute une partie des jeunes diplômés de l’université qui rencontre, aujourd’hui, on le sait, de grandes difficultés pour accéder à l’emploi, et qui n’y parvient que dans des conditions précaires, marquées par le déclassement… » Comme les mots de « déclassement » peuvent être utiles à certains moments ! Ils permettent d’identifier et d’objectiver un phénomène et, ce faisant, de le faire passer du registre de la sensibilité, imprécise mais prégnante, à celui de la rationalité, précis mais à distance. Un processus d’objectivation, dit-on, qui chloroforme également  puisque l’on sait sans avoir le besoin de voir concrètement, en chair, ce que cela signifie.

Voilà une jeune femme, 26 ans, pas issue de l’immigration sauf à convenir que l’excentricité brestoise l’équivaut. Origine populaire et pas une enfance avec goûters, jeux éducatifs, séjours linguistiques. Un CAP et un BEP de secrétariat, résultantes d’une orientation banale pour celles et ceux qui a priori ne sont pas sélectionnés pour grimper dans l’échelle sociale. Mais un bac pro. Puis un BTS d’assistante de direction. Enfin un master 2 en gestion des ressources humaines. Un chemin qui exprime la résistance et le volontarisme contre les déterminismes sociaux, la voie pourtant tracée dès le berceau.Tout cela en alternance. Tout est juste et parfait au regard des experts en politique de l’emploi et de la formation, rien que du miel pour l’idéologie dominante « one best way » : du certifiant, de l’alternance… et en plus une mobilité puisqu’elle est depuis trois mois à Paris, pensant y trouver du travail. Sauf qu’il n’y a pas de travail. Surtout pour les jeunes. Plus de 350 courriers avec CV, trois entretiens arrachés mais sans effets et le bout de l’impasse qui s’approche : aucun revenu, aucun droit, Pôle emploi inaccessible, la fortune des 500 euros de collocation qu’on ne peut plus payer à ce jour dans une semaine, un découvert de 600 euros à la banque, l’enthousiasme d’un caractère qui est rongé, miné, par un quotidien où l’on tourne sur soi dans sa chambre, où l’on ne peut même plus démarcher tout azimut parce que l’on arrive aux derniers euros du forfait téléphonique, et une famille, guère fortunée, qu’on ne peut plus solliciter. Que va-t-elle faire ? La rue n’est plus un espace de déambulation ou de transition vers un point B mais une aspiration vers le vide. Re-re-Prozac. (3).

On imagine qu’avec « l’extension du domaine du désavantage social », Schwartz invite subliminalement par cette expression à une autre extension : de la lutte (4). Ce qui sauve le système de la révolte jeune c’est l’incorporation par chacun d’une solitude de destin, la nécessité de s’intégrer plutôt que de protester (5) et les doigts des inclus qui se referment sur le peu qu’il leur reste et qu’ils sentent leur échapper.

Les « grands »…

Second constat formulé de façon un peu alambiquée, « De la politique de l’excellence aux inégalités intracatégorielles ». Olivier Schwartz pointe ici l’importance qu’a prise, dans les catégories supérieures, « la culture de l’excellence, de la performance, de la compétence ». Quoi de plus ordinaire, pense-t-on, que les élites promeuvent une culture de l’excellence sans cesse accentuée selon le principe si bien expliqué par Pierre Bourdieu de la « distinction » (6) fait de déplacements successifs des objets et motifs de différenciation, c’est-à-dire de ce qui permet de se distinguer des classes moins bien positionnées mais aspirant à être aspirées par le haut ? Pour Schwartz, « Une caractéristique de cette culture est qu’elle peut être tout à fait favorable, d’un côté, en tout cas sur le principe, à des mesures visant à lutter contre les inégalités et les discriminations liées à l’origine (par exemple à l’origine ethnique) ; mais d’un autre côté, elle est profondément favorable à l’introduction, dans les entreprises et les organisations, de davantage d’inégalités en fonction du « mérite » et des performances. » Et de poursuivre : « Il semble bien, en effet, qu’une des évolutions caractéristiques de notre société comme plus largement de nombreuses sociétés occidentales contemporaines est qu’aux inégalités sociales classiques, entre catégories sociales différentes, s’ajoutent de plus en plus des inégalités « intracatégorielles », entre membres d’une même catégorie socio-professionnelle. Ces inégalités ont été très largement causées par l’éclatement et la diversification des statuts d’emploi, mais il saute aux yeux que la politique de l’excellence, des compétences, de la valorisation des performances et surtout de l’individualisation des trajectoires pourrait être à l’avenir un facteur extrêmement important d’accentuation des inégalités intracatégorielles, et donc aussi de remise en cause des solidarités au sein des groupes. » On retrouve ici le thème de « la lutte des places » (7), d’un monde où les solidarités ont cédé la place à la concurrence féroce, homo lupus homini est (l’homme est un loup pour l’homme), chacun contre tous dans un champ professionnel qui est moins un espace d’épanouissement (la fameuse « valeur travail » et le rapport symbolique au travail, la non moins fameuse dernière strate d’accomplissement de la pyramide de Maslow…) qu’une jungle… elle non évacuée manu militari par les forces de l’ordre mais promue au titre de l’intérêt général et sociétal par ceux qui, en fait, y ont un intérêt particulier.

Les « petits »…

Enfin, troisième constat, « la tripartition de la conscience sociale dans les catégories modestes ». Après la stratosphère des élites, le terrain des exécutants, de ceux qui piétinent en bas de la hiérarchie sociale. « Beaucoup d’entre eux adhèrent spontanément à une représentation binaire de la société, fondée sur une opposition entre le haut d’une part – les dirigeants, les puissants, ceux qui possèdent l’instruction, la puissance, l’argent – et d’autre part ceux qui sont en dessous, les simples exécutants, les ouvriers, les employés, ceux dont ils estiment de manière générale faire partie. » Cependant, plutôt qu’un système binaire « grands – petits », c’est d’un système « tripartite » dont il est question, avec une pression venant du haut mais également du bas : « C’est par exemple l’idée qu’il y a trop de chômeurs qui non seulement n’ont pas d’emploi mais qui n’en cherchent pas, qui vivent du RMI ou des aides sociales, qui se dispensent par conséquent de chercher du travail, et qui peuvent s’en dispenser parce que d’autres paient des impôts pour eux. {…} Ou encore, ce peut être l’idée que dans certaines familles immigrées, on vit sans travailler, grâce aux allocations, c’est-à-dire grâce à des aides sociales qui, là encore, sont financées par ceux qui travaillent et grâce à leurs impôts. {…} ce sentiment d’être lésés à la fois par des décisions qui viennent du haut mais aussi par des comportements qui viennent de ceux du bas, d’être lésés à la fois par les plus puissants et par les plus pauvres. {…} « C’est nous qui payons pour tout le monde »… »

L’urgence du sens…

De cette analyse, on peut sortir assez défait, déconfit… Si du bas en haut l’ensemble du système est à ce point critique, que reste-t-il comme alternative, quelle action et, plus encore, quelle posture sont-elles possibles ? Au sein des structures, celles qui nous intéressent ici et qui sont en front-line d’une combinaison paradoxale d’espoir et d’énergie, la jeunesse – ressource, et de « misère du monde » (8) subie, que faire ? Il y a une urgence du sens. Qui s’en saisira, déjà et ne serait-ce qu’à l’échelle d’une profession, pour radicalement changer le logiciel ? L’écrivant, un autre paradoxe s’impose : l’ampleur de la tâche est telle que l’on se sent partagé, plus exactement écartelé, entre l’enthousiasme qu’elle requiert et l’épuisement qu’elle promet. Courage.

(1) Le meilleur des mondes, 1933, Plon.

(2) 2006, Seuil, « La république des idées », p. 10.

(3) Cette jeune femme et cette situation ne sont pas un cas de figure mais recouvrent une vraie personne. Aujourd’hui. A toutes fins utiles. Urgemment.

(4) Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte,1994, éditions J’ai lu : « En système économique parfaitement libéral, certains accumulent des fortunes considérables ; d’autres croupissent dans le chômage et la misère. En système sexuel parfaitement libéral, certains ont une vie érotique variée et excitante ; d’autres sont réduits à la masturbation et la solitude. Le libéralisme économique, c’est l’extension du domaine de la lutte, son extension à tous les âges de la vie et à toutes les classes de la société. De même, le libéralisme sexuel, c’est l’extension du domaine de la lutte, son extension à tous les âges de la vie et à toutes les classes de la société. Sur le plan économique, Raphaël Tisserand {le héros de l’ouvrage} appartient au camp des vainqueurs ; sur le plan sexuel, à celui des vaincus. Certains gagnent sur les deux tableaux ; d’autres perdent sur les deux. »

(5) Voir infra note 7.

(6) Pierre Bourdieu, La distinction. Critique sociale du jugement, 1979, éditions de Minuit, « Le sens commun ». Dans cet ouvrage, Pierre Bourdieu  parle de « génération abusée  et désabusée » (pp. 159-164) et de « lutte contre le déclassement » pp. 166-172). Ce n’est donc pas nouveau mais cela s’est généralisé. Comme une gangrène. Comme des métastases.

(7) Vincent de Gaulejac, Isabel Taboada Léonetti, Frédéric Blondel et Dominique-Marie Boullier, La lutte des places, 1994, Epi. « Le modèle entrepreneurial devient le modèle dominant de la gestion des villes. La quête de l’excellence n’est plus seulement l’apanage des firmes multinationales. Cette révolution managériale est un élément central de la dualisation de la société, écartelée entre la recherche de la performance et le développement de l’exclusion. » (p. 41). Et « Lorsqu’on est chômeur, RMIste, sans domicile fixe, jeune de la rue ou immigré, la revendication essentielle n’est pas de changer l’ordre social mais de trouver une place dans cet ordre. » (p. 43).

(8) Pierre Bourdieu, La misère du monde, 1993, Seuil. « Le travailleur social ne peut donner que ce qu’il a, la confiance, l’espérance minimale qui est nécessaire pour essayer de s’en sortir. Il doit lutter sans cesse sur deux fronts : d’un côté contre ceux qu’il souhaite assister et qui sont souvent trop démoralisés pour prendre en mains leurs propres intérêts {…}, de l’autre contre des administrations et des fonctionnaires divisés et enfermés dans des univers séparés. » (p. 354 de l’édition de poche, collection « Points »). Gabrielle Balazs, dans ce même ouvrage, consacre quelques pages à une mission locale, celle de Villeneuve, à l’origine de la création d’une régie de quartier : « Ce type d’institution ne pourrait fonctionner sans le directeur, ancien militant du parti communiste, et sans le personnel, qui se considèrent plus comme des militants que comme des fonctionnaires, ne comptant pas leur temps et s’investissant fortement dans leur tâche. Ils fourmillent d’inventions… » (« L’occupationnel », p. 398). C’était, il est vrai, il y a seize ans.