Cet article correspond à une conférence pour l’URHAJ de Bretagne, à Brest le 10 décembre. A « Plus qu’un lieu, un feu : habiter sa vie » succédait « Positions, postures et enjeux des intervenants sociaux de FJT face à une jeunesse incertaine. » La conférence, comme si vous y étiez… avec, en prime, des dessins d’Éric Apperé qui, tout au long de la journée, avec une imagination qui laisse pantois, a illustré contributions et tables rondes. Eric, dont quelques dessins ont déjà été proposés, prépare un recueil de dessins sur l’insertion. On en reparlera.
Assurément, les habitués de ce blog y retrouveront des thèmes récurrents de ces pages : l’exercice d’une conférence implique que l’on considère que chaque participant ne dispose pas d’un même niveau d’information. Bis repetitas placent…
Ce fût une conférence d’une heure. Retranscrite, c’est long. Cette contribution l’est donc également : ce sera la dernière de 2009 qui enjambera 2010 puisqu’elle se présente en deux morceaux…
Et puis, au fait, fêtons les 100 000 visites de ce blog, dépassées il y a à peine deux jours. Presque synchrones ces 100 000 et la nouvelle année ! Un signe ?.
La conférence…
Vous êtes des professionnels avec un socle de travail social et une expertise sur le logement. Dans les missions locales, le socle est le même, l’expertise étant celle de la formation et de l’emploi. En centre social, c’est toujours le même socle et l’expertise est celle de la sociabilité. Lorsqu’on regarde ces trois réseaux, on constate bien des similitudes : tous se réclament dans une charte d’une approche globale, holistique (1) ; tous sont issus d’un tronc commun historique, l’éducation populaire ; et tous disposent d’une caractéristique saillante, d’un angle de vue particulier. Je serais tenté de poser une hypothèse : si l’approche globale est, pour les uns et pour les autres, une évidence, son caractère diffus appelle une spécificité, en fait une division du social, une spécialisation. Le bon à tout, capable de répondre à la multidimensionnalité des besoins, n’est en effet guère éloigné du touche-à-tout, sinon du bon à rien. On a besoin d’affirmer une distinction.
S’agissant du logement des jeunes, votre expertise, le sociologue extérieur n’a que peu de choses à dire, sauf à être lui-même un expert du domaine, c’est-à-dire un sociologue « du logement des jeunes », ramification disciplinaire qui n’existe pas, même si certains travaillent plus sur cette entrée, comme d’autres font leur miel de la mobilité, des loisirs, de l’emploi, etc. Le besoin de se distinguer est là aussi présent. Mon propos évitera donc soigneusement de s’aventurer sur le terrain glissant des nombreuses réponses techniques : micro-résidences, foyers soleil, bail glissant, bail accompagné, sous-location, foyers relais, colocation intergénérationnelle, parcours résidentiel en milieu diffus, Pass GRL (Garantie du Risque Locatif), etc. Cela ne vous apprendrait rien… et cela me soulagera en m’évitant le risque de l’imposture !
Par contre, ce qu’on peut considérer comme une sorte d’avantage du point de vue de Sirius, connaître ces trois réseaux – foyers de jeunes travailleurs, missions locales et centres sociaux –, permet d’établir des ponts entre les conceptions, entre les ambitions et croyances, et de constater une posture professionnelle commune, on pourrait dire un habitus professionnel. Et d’établir également des liens entre des questions qui se posent systématiquement selon deux grandes perspectives : comprendre la jeunesse, ses modes de vie et aspirations ; se professionnaliser. Soit dit en passant (et sans – trop de – mauvais esprit), si le RIJ avait associé ces réseaux – missions locales, Foyers de jeunes travailleurs et centres sociaux -, il en serait peut-être aujourd’hui à un autre niveau… ce qui, tout compte fait, ne serait guère difficile puisque le RIJ semble plus un mort-né qu’un nourrisson prometteur.
1. Se professionnaliser…
Le souci de professionnalisation est patent, principalement à partir de quatre thèmes : l’éthique professionnelle, les bonnes pratiques, le corpus théorique et l’évaluation. Il n’est pas inutile de comprendre la signification de chacun de ces thèmes, une fois rappelé ce qu’est la professionnalisation.
Se professionnaliser, c’est en quelque sorte prendre des garanties pour bien travailler (finalité explicitée) et pour pouvoir continuer à travailler parce qu’on est reconnu (avantage collatéral implicite). On recherche donc synchroniquement une « qualité du service », parce que l’on croît à ce que l’on fait, qu’il y a souvent une dimension vocationnelle dans le fait de travailler dans le social, et des garanties pour continuer à y travailler… probablement parce qu’on doit y être bien. Le mot-clé est ici la reconnaissance : reconnaissance de l’utilité de son travail pour l’enjeu de la socialisation des jeunes et pour l’enjeu de la fiabilité de ceux qui travaillent à cette socialisation. Il s’agit donc (toujours) de répondre à la question qu’il y a dix ans posait la revue Esprit, « A quoi sert le travail social ? » (2). Dès lors que le travail social n’est plus (ou ne se veut plus) une stricte mise en œuvre d’une politique d’encadrement des populations « à risques », pour elles-mêmes et pour la société, qu’il n’est plus une machine coercitive à intérioriser les normes dominantes au forceps, mais qu’il met en avant l’émancipation, la citoyenneté, le projet d’autonomie, etc., il devient suspect ou, tout au moins, sa justification ne va plus de soi. On le comprend pour l’émancipation, que l’idéologie dominante peut traduire en terreau de sa contestation, mais il en est de même pour l’insertion, notion incertaine, insuffisamment construite, finalement aussi fragmentée que la société vers laquelle sont orientés les « insérés ». Comme le dit Robert Castel, « Qu’est-ce qu’un inséré permanent ? Dans quel no man’s land flotte-t-il, ballotté qu’il est entre intégration et néant ? » (3). Il est à craindre que l’imprécision qui caractérise l’inséré soit identique pour l’insertion et les inséreurs.
La professionnalisation peut se comprendre à partir de trois perspectives.
– Premièrement, l’articulation de trois branches que sont la réalisation, la réflexion et la réflexivité. La réalisation recouvre ce qui est fait, palpable, concret : accueillir un jeune, lui procurer un toit, etc. La réflexion est ce qui, en amont, permet de bien accueillir, de s’être organisé pour proposer un toit, puis, chemin faisant, de poursuivre l’accueil par un accompagnement et, ex post, d’apprécier ce qui a été fait pour ce jeune afin d’en tirer des conclusions pour d’autres jeunes à venir. La réflexivité est de considérer que, s’inscrivant dans le système complexe de la socialisation, c’est-à-dire multidimensionnel et interagissant, les réponses ne peuvent être unidimensionnelles et uni-institutionnelles mais appellent d’autres acteurs, ce que l’on nomme le partenariat : bref, c’est raisonner sur soi et sur ce que l’on fait en se situant dans un système d’acteurs, c’est-à-dire en se décentrant. L’ère est bien trop encombrée d’ethnocentrismes et de métastases de l’ego pour éviter la nécessité de raisonner à partir des autres et de soi-même.
– Deuxièmement, une autre triade également qui fait interagir la profession, le professionnalisme et la professionnalité. La profession, c’est la dimension structurante, celle qui garantit que l’on peut travailler dans la stabilité, avec des garanties, des protections sociales, contre ce que Robert Castel appelle « la montée des incertitudes » (4) : un contrat de travail, une convention collective, un dispositif réglementaire, des financements encadrés et pérennes, etc. Le professionnalisme, c’est la boîte à outils : concepts, méthodes et compétences instrumentales (les savoir-faire), cognitives (les savoirs) et comportementales (les savoir-être). La professionnalité enfin, c’est le sens que l’on met dans son travail… car autant il est juste de dire qu’un bon ouvrier a de bons outils, autant les bons outils ne font pas les bons ouvriers… encore faut-il avoir envie de s’en servir, ce qui est un pré-requis pour bien s’en servir : il n’y a pire maladroit que le démotivé.
– Troisième perspective, construire son travail de telle façon à ce qu’il ne soit pas un simple emploi mais un métier. Le saut qualitatif d’un emploi à un métier nécessite que, pour ce dernier, l’on dispose d’un corpus théorique (des concepts robustes pas des notions fourre-tout), de pratiques harmonisées et même codifiées (des procédures), d’une déontologie (des règles de droit définies par les pairs et applicables à l’ensemble des professionnels), d’un cursus reconnu de formation et d’une représentation collective assurée par les pairs (un « conseil de l’ordre », une branche professionnelle, le paritarisme…). Autrement dit, cinq conditions qui doivent être remplies et dont on voit qu’elles ne se limitent pas à un simple raisonnement, souvent adéquationniste, qui réduirait sous l’acronyme « GPEC » (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences) la problématique à un écart à combler entre des compétences exigibles et effectives. La qualité, tant et tant invoquée, a besoin pour le bel ouvrage de « gens de métier », pas de supplétifs en emploi. Contrairement aux jobs de chez Mac Do. Il serait étrange de qualifier un hamburger de chef d’œuvre.
Une fois énoncées ces propositions, on peut mesurer le chemin qui reste à parcourir pour que les emplois de l’insertion mutent en métiers, depuis la place accordée à la réflexion – prenons l’exemple d’une généralement pauvre « Recherche et Développement », pourtant source de l’innovation – jusqu’à la priorité accordée au professionnalisme aux dépens de la professionnalité – qui, inéluctablement, produit le sentiment de l’instrumentalisation – et enfin jusqu’à l’approximation des discours, aussi riches de notions que pauvres en concepts, et l’introuvable déontologie, un comble dans le social. Lorsque j’indique que la R&D est pauvre, je ne veux pas dire qu’il n’existe pas de dynamique de recherche appliquée mais force est de constater que celle-ci est rarement formalisée, qu’elle n’apparaît pas en investissement dans les bilans comptables, qu’elle ne recouvre souvent que des réponses ponctuelles à des commandes externes, à des appels à projet, etc. Les mouvements d’éducation populaire, pour une large part, se sont laissés enfermer dans une logique programmatique et hétéronome de l’innovation, alors qu’ils furent historiquement des espaces de fermentation sociale avec une logique projectale et autonome. Qu’un réseau social ne considère pas comme (ultra)prioritaire la R&D signifie que, même revendiquant l’expertise dite « du quotidien » ou « d’usage », il renonce à l’évaluation par les pairs en y substituant le contrôle par les experts (5).
On voit donc que, des quatre thèmes récurrents et partagés entre intervenants sociaux – l’éthique professionnelle, les bonnes pratiques, le corpus théorique et l’évaluation, les trois premiers correspondent à des conditions points de passage obligé de l’existence d’un métier. Le quatrième, l’évaluation, s’est généralisé puisque le travail social s’est modifié et que, n’allant plus de soi comme pouvait l’être une conception de « l’individu à corriger », selon les termes de Michel Foucault (6), il doit constamment apporter la preuve de sa pertinence.
Parcourant la synthèse d’un récent colloque organisé par la Fondation de France, « Un toit pour chaque jeune » (7), j’observai qu’une fois passée l’expression des convictions (« La présence de jeunes sur un territoire est une garantie de soutenabilité et de dynamisme pour le développement de ce territoire… »), les préoccupations des participants recouvraient trois thèmes : l’évaluation, l’accompagnement et le financement du social.
De l’évaluation : une dialogique.
De l’évaluation, on peut par exemple lire qu’ « Il y a consensus sur la nécessité de l’évaluation et de la mise à jour permanentes des politiques publiques, afin de suivre l’évolution de la société, de l’emploi, des demandes des jeunes et de la situation du logement au plan national; cette évaluation ne peut pas être seulement quantitative, elle doit prendre en compte les facteurs humains et sociaux. » J’ai tenté une explication de ce « consensus sur la nécessité de l’évaluation » qui me semble historiquement plus participer d’une contrainte intériorisée que d’une conviction endogène. Disons que le soupçon qui pèse sur le social, depuis que l’Etat Providence n’a plus les moyens de l’entretenir généreusement, s’est combiné avec la difficulté des intervenants sociaux à objectiver leur utilité sociale, du fait de la nature même de leur travail dont une large part échappe aux modèles économétriques, et que cela a produit ce consensus dont je ne suis pas certain qu’il soit aussi… consensuel. Pour la raison très simple que l’évaluation n’est sans doute pas comprise de la même façon selon la position occupée. Côté financeurs, l’évaluation repose sur trois critères principaux : la conformité des actions au regard de la commande publique, l’efficacité entendue comme atteinte des objectifs quantitatifs et l’efficience, c’est-à-dire la proportionnalité entre l’effort financier consenti et les résultats obtenus. Côté intervenants sociaux, l’évaluation mobilise deux autres critères : l’effectivité, c’est-à-dire la méthode ou « procède-t-on de la bonne façon ? », question déclinée pour tous les processus (l’AIO – accueil – information – orientation, l’accompagnement…), et la décentration comprise comme adaptation du service aux besoins du jeune et appelant les notions de contrat, de projet, etc. Le noeud de tension entre ce qui est donc moins un consensus qu’un système de relations par opposition est classiquement la dialogique « quantitatif-qualitatif » : le quantitatif des résultats et des subventions d’un côté, le qualitatif d’un indicible, d’un humain irréductible à la rationalisation, qu’il ne faut pas confondre avec la rationalité au sujet de laquelle Edgar Morin écrit : « La rationalisation enferme une théorie sur sa logique et devient insensible aux réfutations empiriques comme aux arguments contraires. Ainsi, la vision d’un seul aspect des choses (rendement, efficacité), l’explication en fonction d’un facteur unique (l’économique ou le politique)… » Et Edgar Morin d’ajouter : « La rationalisation est la maladie spécifique que risque la rationalité si elle ne se régénère pas constamment par auto-examen et auto-critique. » (8). J’ai utilisé la notion de « dialogique » pour exprimer que, si l’évaluation est plus un système de relations par opposition qu’un consensus, elle met en jeu une interaction de deux logiques antagonistes et pourtant complémentaires, qui s’opposent et se nourrissent comme le fameux « Vivre de mort, mourir de vie » d’Héraclite. Autrement dit, évaluer ne correspond ni exclusivement à ce qu’y met la logique de système, ni à ce qu’y entend tout aussi exclusivement la logique d’acteur, mais mobilise ces deux registres : on évalue pour objectiver quantitativement et qualitativement les valeurs ajoutées (9) du travail et, ce faisant, on répond à la commande publique, tant il est légitime que l’usage des fonds publics soit raisonné et raisonnable, et l’on évalue pour améliorer le service aux jeunes ainsi que pour démontrer son utilité et, ce faisant, on génère de la reconnaissance – ce qui n’est pas le moindre des avantages pour des professionnels en mal de reconnaissance – mais paradoxalement aussi du quantitatif, en l’occurrence des montants de subventions.
De l’accompagnement : une préoccupation, un objectif.
De l’accompagnement, il fût dit lors du même colloque qu’il fallait « Développer une méthode d’accompagnement global qui comprenne la gestion du logement et plus largement, la citoyenneté ; il s’agit d’une action éducative, complémentaire du cadre familial, d’une veille bienveillante permettant en définitive une insertion durable. » J’avoue avoir découvert pour la première fois cette expression de « veille bienveillante », dont l’explication tient sans doute à une volonté d’humaniser une veille qui pourrait être interprétée comme synonyme de contrôle, le qualificatif « bienveillante » étant qui plus est d’inspiration religieuse : le mouvement Habitat et Humanisme, dont on sait que le créateur Bernard Devert est devenu prêtre, use volontiers de ce vocable (10). Une fois réglé le principe – juste – d’un accompagnement global, tout simplement parce que le Sujet est à la fois multidimensionnel, singulier et unique, restent une préoccupation et un objectif.
– La préoccupation est de ne pas confondre moyen et fin, en l’occurrence de substituer à la finalité de l’accompagnement, qui est l’intégration, l’accompagnement lui-même… sauf à mettre en place une contradiction majeure : être intégré, donc responsable et autonome, reviendrait à être accompagné ad vitam, ad libitum sans aucun doute ! Ce qui pourrait signifier que les « classes dangereuses » (auparavant les prolétaires, désormais les jeunes, les chômeurs) doivent être accompagnées, impérativement même si l’accompagnement humanise le contrôle : « Cette notion d’accompagnement qui, à son origine, {…} se voulait émancipatrice, {…} serait-elle progressivement changée en instrument de protection… de l’ordre social existant ? » (11)
– L’objectif, si l’accompagnement est bien comme on l’entend partout « le cœur du métier », est de le construire en concept, d’éviter qu’il soit un mot plaqué sur des pratiques hétérogènes. Pour aller vite, il faudrait tout d’abord qualifier l’accompagnement : j’ai proposé que l’on parle d’« accompagnement socioprofessionnel » (12), ce qui paraîtra évident pour des intervenants sociaux de mission locale mais qui l’est tout autant pour des intervenants spécialistes de l’habitat puisque, comme le dit justement Jean-Claude Richez, « La question du logement est aussi et d’abord peut-être une question d’emploi. Cette forte interrelation implique que l’on ne saurait traiter la question du logement séparément de celle de l’emploi ainsi que de la mobilité. » (13)
L’accompagnement socioprofessionnel porte sur la personne dans sa globalité, s’appuie sur le principe de ses ressources, vise à réduire ou à résoudre les difficultés de tous types qui font obstacle à l’intégration, cette dernière entendue comme finalité du processus d’insertion professionnelle sociale, et mobilise les professionnels qui interviennent en « prenant en compte » et non « en charge ». La posture professionnelle se fonde en conséquence sur l’aide au développement de l’autonomie de la personne et ne doit pas être une démarche hétéronome.
L’accompagnement associe de façon quasi-systématique six éléments agencés avec et autour du jeune : le référent unique (interaction), le projet (ambition), le contrat (conditions), l’entretien (réalisation), l’apport instrumental (dotation), les ressources de l’environnement et le partenariat (démultiplication).
Sur le volet socioprofessionnel, qu’il soit ou non « renforcé », mais subséquemment avec une graduation de l’intensité de l’offre de service, l’accompagnement s’exerce dans quatre sphères interdépendantes :
– La sphère de l’économique dont l’objectif est l’indépendance économique via l’exercice d’un emploi. Y est rattaché l’homo oeconomicus, producteur et reproducteur.
– La sphère de l’individuation, « micro », concernant les rapports de la personne à elle-même (santé physique et psychique) et à son environnement familial. A la sphère de l’individuation est rattaché le Sujet, par définition singulier et unique, et la visée est l’accomplissement.
– La sphère de la sociabilité, « meso », où sont en jeu les relations de la personne avec son environnement proche : voisinage, quartier, groupes amicaux et associatifs, etc. La thématique est ici celle du lien social et de l’appartenance. A la sphère de la sociabilité, est rattaché l’Acteur, par définition collectif, et la visée est le lien.
– La sphère du sociétal, « macro », qui correspond aux relations de la personne à la société, celles-ci articulant deux axes : l’acquisition de normes (le « vivre ensemble ») et la citoyenneté (droits et devoirs). A la sphère du sociétal est rattaché le Citoyen et la visée est l’émancipation (14).
Sphères |
Dimensions | Idéauxtypes | Visées |
Economique | micro/meso/macro | Homo oeconomicus | Indépendance économique |
Individuation | micro | Sujet | Accomplissement |
Sociabilité | méso | Acteur | Lien |
Sociétal | macro | Citoyen |
Emancipation |
Du financement du social : convaincre…
Enfin, du financement du social, on attend que « Au-delà de l’expérimentation/innovation, {il faut} assurer la pérennité des associations et des solutions confirmées, pas uniquement par des subventions, mais aussi par le soutien durable des différentes parties prenantes. » Et que ce crédit – dans tous les sens du terme – se justifie par « l’expertise des réseaux associatifs intervenant déjà dans ce domaine et ayant l’expérience et l’expertise requises pour les accompagner. » Pèse cependant sur les épaules des intervenants sociaux, on l’a dit, ce soupçon d’imprécision, de manque de transparence. En fait et s’il ne s’agit évidemment pas de se faire le défenseur de la rationalisation, on tire assez rapidement à l’écoute des intervenants sociaux la conclusion que les discours sont assurément convaincus… sans pour autant être convaincants. Autrement dit, que le travail en amont de tout argumentaire qui plaide pour un financement du social ne peut faire l’économie de ce qui précède, c’est-à-dire d’un corpus théorique stabilisé, des règles d’évaluation prenant en compte le quantitatif et le qualitatif, etc. Le postulat ne remplace pas la démonstration. Ceci d’autant plus que la notion d’« expertise » est revendiquée. Or, si la maîtrise signifie que l’on possède la connaissance d’un domaine, l’expertise ajoute à cette connaissance la capacité de la transmettre, de la communiquer. Si, incontestablement, le financement du social est à bien des égards problématique, et même de plus en plus problématique avec la logique européenne de marchés publics et de mises en concurrence systématiques, avec également une conception du social comme dépense et non comme investissement, toutes choses qui font dire à Michel Chauvière qu’« Aujourd’hui, la raison gestionnaire et managériale d’esprit libéral {…} sait aussi illusionner nombre d’acteurs sociaux par sa rationalité technique et sa novlangue pseudo-éthique. » (15), j’en conclus que, malgré cela et même a fortiori à cause de tout cela, c’est aux intervenants de convaincre.
A suivre…
(1) Charte des missions locales, « Construire ensemble une place pour tous les jeunes », 12 décembre 1990 : « Une intervention globale au service des jeunes. Article 5 : Les partenaires réunis dans la mission locale prennent en compte les dimensions économique, sociale, culturelle et institutionnelle de la situation des jeunes, et en priorité des jeunes les plus en difficulté. » Charte de l’UFJT, 2 février 1996 : « Participant à la politique de la jeunesse, fidèles à notre vocation d’éducation populaire et de promotion sociale, nous adoptons une approche globale et individualisée de chaque jeune… ». Charte fédérale des centres sociaux et socio-culturels de France, 17-18 juin 2000 : « Se plaçant dans le mouvement de l’éducation populaire, les Centres sociaux et socio-culturels fédérés {…} La vision des centres sociaux et socio-culturels ne fractionne pas la vie humaine en autant de segments qu’il y a d’administrations ou de prestataires de service : elle identifie ce qui fait la globalité de l’existence individuelle et des situations collectives. »
(2) Esprit, mars-avril 1998, n° 241.
(3) Robert Castel, « Du travail social à la gestion sociale du non-travail », 1998, Esprit n° 241.
(4) Robert Castel, La montée des incertitudes, 2009, Seuil.
(5) Catherine Vilkas, « Des pairs aux experts : l’émergence d’un « nouveau management » de la recherche scientifique ? », A quoi servent les experts ? Cahiers internationaux de sociologie, vol. CXXVI {5-12}2009, PUF, pp. 61-79.
(6) Michel Foucault, « Les anormaux », 1975, Annuaire du Collège de France, 75ème année, Histoire des systèmes de pensée, année 1974-1975, pp. 335-339.
(7) 5 octobre 2009, Tours.
(8) Edgar Morin, Éthique. La méthode 6, 2004, Seuil, p. 239.
(9) Concernant ces valeurs ajoutées, nous avons à plusieurs reprises définies leurs caractéristiques : « directes individuelles » pour les jeunes, « directes collectives » pour l’environnement et « indirectes professionnelles » ou « organisationnelles » pour la structure elle-même (correspondant à l’« assurance de la qualité »).
(10) La Charte d’Habitat et Humanisme (janvier 2003) reprend le principe de la « primauté de la personne humaine » énoncé cinquante ans auparavant par Emmanuel Mounier. On y lit : « Tout en reconnaissant l’Evangile comme une de ses sources d’inspiration essentielle, le mouvement prit le nom d’Habitat et Humanisme. Il se référait ainsi à des valeurs partagées par des hommes et des femmes, croyants ou non, venus de tous les horizons, rejoindre le fondateur. » On peut consulter http://www.habitat-humanisme.org/ Des trois grands réseaux évoqués introductivement, les foyers de jeunes travailleurs, les centres sociaux et les missions locales, seul le troisième – malgré son nom – n’est pas d’inspiration chrétienne, plus précisément du catholicisme social : « Ce qui nous a frappé, c’est d’abord l’étonnante proximité qu’il y a entre ces femmes et ces hommes qui se sont succédé à la tête de l’UFJT. Dans le récit de leurs itinéraires personnels tous se réfèrent au catholicisme. Tous ont vécu leurs premières expériences militantes en tant que chrétiens. » Françoise Gaspard, D’une jeunesse ouvrière à une jeunesse incertaine (UFJT, 1995, Les Éditions de l’Atelier/Éditions Ouvrières et UFJT, p. 14).
(11) Francis Mégevand, « L’accompagnement, nouveau paradigme de l’intervention publique » in (sous la dir.) René Ballain, Dominique Glasman, Roland Raymond, Entre protection et compassion. Des politiques publiques travaillées par la question sociale (1980-2005), 2005, PUG, p. 199.
(12) Philippe Labbé, « Esquisse de définition de l’accompagnement social ou, plutôt, socioprofessionnel », 10 novembre 2009.
(13) Jean-Claude Richez, « Logement des jeunes et insertion sociale », 22 septembre 2009, Haut-Commissariat à la Jeunesse.
(14) L’éducation populaire use volontiers du terme de « promotion ». Cette typologie a été plus développée dans le cadre d’un travail de trois années conduit avec la fédération des centres sociaux des Pays de la Loire. Elle est exposée dans « Qu’est-ce que le social ? », Philippe Labbé, in Veille, Projet, Evaluation, Branche professionnelle des acteurs du lien social et familial, Guides & Outils, 2009, pp. 81-100.
(15) Michel Chauvière, Trop de gestion tue le social. Essai sur une discrète chalandisation, 2007, La Découverte, p. 10.