Discount
Transmis par pioupiou44, l’information selon laquelle un article du Figaro se fait l’écho de vingt-deux recommandations – « dont certaines feront du bruit » – de Marc-Philippe Daubresse chargé en mars par l’Elysée de réfléchir au renforcement de « l’accompagnement vers l’emploi des bénéficiaires {d’allocation} et {d’}optimiser les politiques d’insertion ».
Ainsi, le secrétaire général adjoint de l’UMP propose de créer « un contrat unique d’insertion (CUI) de sept heures par semaine, une journée de travail, payé au smic horaire », soit 214 euros nets par mois, à effectuer par exemple dans une association. « En tenant compte de la baisse de leur RSA induite par la reprise d’activité, les allocataires gagneront 130 euros de plus grâce à ce contrat. Le CUI viserait des allocataires « en situation de travailler » mais assez éloignés de l’emploi. » Marc-Philippe Daubresse écrit ainsi dans son rapport « Mission présidentielle sur l’amélioration du rSa et le renforcement de son volet insertion » (1) : « Ma conviction est que l’activité est mobilisatrice et que, bien accompagnée, elle est le premier pas dans un parcours d’insertion, qui peut être long mais l’essentiel est qu’il soit engagé. Je propose donc de créer des CUI de sept heures hebdomadaire, soit l’équivalent d’une journée de travail, à répartir selon la nature des activités concernées. » Les arguments avancés pour justifier cette proposition sont au nombre de trois :
– « La création d’un tel CUI a pour objet d’offrir une palette de contrats aidés plus large et de répondre à des difficultés d’accès au marché du travail. »
– « Le CUI actuel, d’une durée minimum de 20h d’activité, n’est pas accessible d’emblée pour certains bénéficiaires du rSa, des étapes préalables pouvant être nécessaires. »
– « Une vision pragmatique doit reconnaître la diversité des attentes et des possibilités des bénéficiaires de minima sociaux. »
Voici, présentée de cette façon, une proposition qui semble partir d’une bonne intention… mais, en fait, on touche le fond… l’enfer, n’est-ce pas, en est pavé : une journée de travail par semaine, c’est la consécration de l’exceptionnalité du travail mais, contrairement à la règle économique selon laquelle ce qui est rare est cher, on est ici au cœur du discount : 130 euros de plus, soit 4,33 euros par jour, ne permettront pas de s’extraire de la pauvreté, pas plus que rattraper les prix qui flambent, tels les loyers. Alors…
– Offrir une palette plus large ? On demande à voir cette palette, c’est-à-dire concrètement ce que des employeurs associatifs ou des collectivités vont bien pouvoir proposer à des personnes une journée par semaine. On avait le CES à la photocopieuse… à quoi aura-t-on le CUI ?
– Une étape préalable ? S’il s’agit d’un ré-entrainement à l’activité professionnelle, il vaudrait bien mieux, sur cet objectif, un mi-temps permettant de rétablir une horloge régulière de réapprentissage des temporalités car on sait que la désynchronisation des temps sociaux est un symptôme des situations de relégation : se lever chaque matin pour une demie journée de travail est probablement un meilleur training qu’un seul lever hebdomadaire. C’est un peu comme le chômage de rotation : plus les périodes d’activité sont courtes et inversement longues celles d’inactivité, plus le système va vers la désorganisation, vers l’entropie…
– Quant à la « vision pragmatique », sorte d’argument d’autorité qui dédouanerait sans doute d’apporter des explications plus probantes, s’appuyant sur « la diversité des attentes », il faudrait être capable, très « pragmatiquement », de démontrer que les attentes des allocataires sont bien celles d’une journée… Cela, sauf mauvaise lecture, n’apparaît pas dans le rapport. On aurait même tendance à penser l’inverse puisque « pour la grande majorité des bénéficiaires du rSa, l’objectif est de parvenir à un emploi de type contrat à durée indéterminée » et que « Le CUI est un outil privilégié dans ce parcours » (p. 11) : il faut beaucoup d’imagination pour croire qu’un CUI à une journée puisse être un outil privilégié conduisant à un CDI à temps plein.
Expulsion active
On peut rechercher ailleurs la réponse : « Le refus de ce CUI serait constitutif d’un manquement aux devoirs {de l’allocataire} et entraînerait automatiquement une sanction, conformément à la loi. » Voici donc une proposition qui nous apprend, pour celles et ceux qui n’auraient pas tout compris de la sémiologie et de Roland Barthes, à distinguer ce qui est dit de ce qui est poursuivi, à faire le tri entre l’explicite de l’implicite, à décrypter derrière l’exprimé le subliminal, à tordre le signe pour révéler le sens… L’objectif n’est peut-être pas l’explicite d’accompagner mais peut-être l’implicite de rayer. Il faudrait dans ce cas remplacer le concept en vogue, Commission européenne aidant, d’« inclusion active » par celui d’« expulsion active ». Un jour par semaine, Pierre Larrouturu et sa semaine de quatre jours sont balayés, ce n’est plus le partage du travail mais son aumône… sous condition et épée de Damoclès.
Sans doute, il sera toujours temps plus tard de s’interroger sur la « valeur travail » et ce seront bien entendu les mêmes qui promeuvent à dose allopathique du bad job homéopathique – un jour hebdomadaire – qui regretteront l’époque où le temps du travail permettait que l’on s’y attache, que l’on le considère comme « le grand intégrateur ».
Le plus étonnant dans cette proposition est que, lorsque au titre de la droite dite « sociale » (si elle ne s’en réclamait pas, on se demande ce qui aurait été dit…) Laurent Wauquiez se lança dans une diatribe contre « les dérives de l’assistanat » et le « cancer de la société française », Marc-Philippe Daubresse, embrayant dans le sillon tracé par Roselyne Bachelot, avait jugé les déclarations de l’ancien secrétaire d’Etat à l’emploi « irresponsables ». Une note de Martin Hirsch adressée au même Daubresse évoquait face à la suggestion d’une « contrepartie d’intérêt général » le danger d’effet d’aubaine pour les employeurs et plaidait en revanche pour le recours au contrat unique d’insertion. Rappelons que la durée de travail hebdomadaire du CUI-CAE, celui pour les collectivités territoriales et les associations, correspond au minimum à vingt heures. Désormais on passerait donc de vingt heures à sept heures… et, faut-il le préciser, la formation – qui n’est pas obligatoire mais encouragée pour le CUI-CAE – appartiendrait de toute évidence au monde des mirages…
En résumé : l’aumône, pas de formation, une durée de travail insuffisamment longue pour permettre la ré-acquisition des savoirs comportementaux, l’épée de Damoclès d’une radiation, l’impossibilité d’un rapport au travail qui mobilise les dimensions sociale (appartenir à une communauté humaine et en être reconnu) et symbolique (s’accomplir)… cela fait vraiment beaucoup.
C’est nouveau. Cela vient de sortir. Cela nous prépare une drôle de société d’autant plus que s’accentue un effet de contraste entre la misère des uns, soupçonnés, et les millions en valises et mallettes des autres qui, rosettes à la boutonnière, voyagent.
Devin
Cette misère, figurez-vous, peut se calculer avec – sic – un « indice du malheur » ou « indicateur de détresse économique » additionnant les taux d’inflation et de chômage. L’inflation étant, pour l’instant, maîtrisée, cet indice ou indicateur est désormais dominé par le chômage… mais on aurait tort de ne regarder celui-ci que sous l’angle des pertes monétaires. Ainsi, on lira Mai Chi Dao et Prasksah Loungani (2) pour qui « Selon des études récentes, les licenciements ont aussi des incidences sur la santé et la vie elle-même. {…} Les licenciements sont corrélés à court terme avec un risque accru de crise cardiaque et autres pathologies liées au stress. A long terme, le taux de mortalité des travailleurs licenciés est supérieur à celui de leurs homologues ayant conservé leur emploi. En ce qui concerne les Etats-Unis, on estime que la surmortalité due au chômage persiste jusqu’à vingt ans après la perte d’emploi et peut se traduire par une espérance de vie réduite d’un à un an et demi. » Ce qui permet de considérer que, subissant plus que d’autres des licenciements, les jeunes commencent leur vie en entamant leur espérance de vie plus que ne l’impliquerait l’avancée naturelle en âge : vieillir précocement puisque vivre la précarité, être vulnérable… c’est se faire des cheveux blancs. Les coûts humains franchissent les générations puisque « La perte d’emploi peut nuire à la réussite scolaire des enfants du chômeur concerné. D’après une étude, les enfants de parents ayant perdu leur emploi ont un risque accru (+ 15%) de redoublement. A long terme, la perte des revenus du père peut amoindrir les perspectives de gains des enfants. Au Canada par exemple, les enfants dont les pères avaient perdu leur emploi gagnaient en moyenne 10% de moins que les enfants des pères l’ayant conservé. »
Sans être devin, on peut s’attendre à l’irruption du thème de la justice sociale parce que ce qui est supporté devient un jour insupportable et que l’insupportabilité n’a pas vocation à être confinée ad aeternam.
Pessimisme.
D’ailleurs, s’agissant d’insupportabilité, on consultera avec intérêt le tout récent (septembre 2011) sondage TNS Sofres pour l’Association des Maires de Grandes Villes (AMGV), « Les Français et l’urgence économique et sociale » (3). Deux questions simplement : « Est-ce que vous avez l’impression que depuis quelques années les gens comme vous vivent mieux ou moins bien qu’avant ? » et « Pour vous personnellement (ou pour quelqu’un de votre foyer), y a-t-il beaucoup de risques, un peu de risque ou aucun risque de chômage dans les mois à venir ? »
A la première question, on comptabilise 75% de « moins bien », 14% de « mieux », 10% de « sans changement » et 1% de « sans opinion ». Sachant que, depuis 1981 TNS Sofres pose cette même question, soit 17 fois, le résultat de septembre est sans appel : ces trois quarts de répondants jugeant que leur situation s’est dégradée représentent le score le plus haut jamais atteint. L’AMGV parle de « record historique »… En 2001, ils n’étaient que 44% et, depuis, la courbe n’a fait que grimper avec une accélération en 2005 où l’on est passé de 50% en 2002 à 70%. Les femmes expriment des jugements plus négatifs que les hommes (77% contre 72%) comme, étonnamment, le noyau dur des adultes en principe stabilisés professionnellement (81% pour les « 25-34 ans » et les « 35-49 ans »). Toujours en ce qui concerne ces jugements négatifs, les revenus moyens obtiennent un score plus élevé (81%) comme, cela n’étonnera personne, les « PCS –» (ouvriers et employés) plutôt que les cadres. Politiquement, ce sont les deux extrêmes qui sont les plus amers – Front de gauche 90% et Front national 86% -, les sympathisants de l’UMP n’étant que 57%.
Seconde question, le risque du chômage dans les mois à venir : là encore, jamais le risque n’a été aussi élevé depuis cette fois 1988 et 8 sondages. Soit aujourd’hui, exactement les deux tiers des répondants qui estiment qu’il y a des risques (31% « beaucoup de risques » et 35% « un peu de risques »). Les optimistes – « aucun risque » – ne sont que 30%, 2% sont « sans opinion » et 2% ne se posent pas la question… parce qu’ils sont déjà au chômage. Ce qui d’ailleurs, soit dit en passant, devrait augmenter le poids des pessimistes puisque le pourcentage de chômeurs, y compris en incluant les inactifs dans la population mère, est supérieur. Qui plus est, si l’on considère que parmi les optimistes se retrouvent les fonctionnaires jusqu’à présent épargnés par le risque du chômage, on en déduira que la proportion de pessimistes parmi celles et ceux qui travaillent dans le privé est beaucoup plus élevée, probablement de l’ordre des trois quarts. En 1988, année du premier sondage, 50% des répondants estimaient avoir des risques de chômage et, en juin 2010, 62%, soit une augmentation de 4 points en un an. Celles et ceux qui se perçoivent comme les plus exposés sont les femmes (69% contre 64% pour les hommes), cette fois-ci les jeunes (71%) et les séniors (70%) – catégories effectivement au bout du balancier du yo-yo de la flexibilité et des plans sociaux -, les ouvriers (76%), les agriculteurs, artisans et commerçants (75%), les mêmes sympathisants politiques que précédemment (78% Front de gauche et Front national), enfin ceux dont les revenus du ménage sont les plus bas (75% pour « moins de 1200 euros »).
Le syndrome de Kâa…
S’il est désormais commun d’entendre que la confiance est à la base du fonctionnement des marchés, il ne semble pas déraisonnable de penser que la confiance est également une condition point de passage obligé du vivre ensemble et, donc, de la démocratie. Entre l’exemplarité des élites qui a sombré jusqu’à ce que sa simple évocation comme valeur républicaine apparaisse comme l’expression d’un archaïsme et l’amertume qui le dispute à la peur du futur, voici une société bien en mal de projets… Pour Michel Destot, député-maire de Grenoble et président de l’AMGVF, « Il est urgent de redonner espoir aux Français. » On lui souhaite bien du courage.
Slip en coton
Ah oui, c’est vrai : la banque suisse UBS vient de voir un de ses traders perdre deux milliards. Il est des évènements qui, malgré un fond plutôt humaniste et enclin à la compréhension, ne suscitent guère de compassion. Peut-être un problème de mémoire insuffisamment défaillante car souvenons-nous que c’est cette même banque qui avait publié – sic – un « Dress code UBS à l’intention des collaborateurs », soit 44 pages destinées à promouvoir « La réputation d’UBS {qui} constitue notre bien le plus précieux. Adopter un comportement irréprochable implique également d’avoir une présentation impeccable. Les conseillers clientèle sont très souvent les premiers interlocuteurs de nos clients et sont perçus comme les représentants d’UBS. » Le vêtement y est décrit « comme vecteur essentiel de la communication non verbale » – mazette ! -, et subséquemment, « le respect du Dress code dictant une apparence soignée et une présentation correcte contribue à communiquer nos valeurs et notre culture. » Au chapitre « Les sous-vêtements », on pouvait lire : « Pour des raisons esthétiques et d’hygiène, ainsi que pour des questions de bien-être général, nous vous recommandons de porter un maillot de corps. Choisissez vos sous-vêtements de façon à ce qu’ils soient fonctionnels, ne se voient pas par-dessus vos vêtements, ni ne se devinent par-dessous.
Astuces et conseils : l’idéal est de choisir un t-shirt (en coton) fin et ajusté. Les sous-vêtements doivent exclusivement être fabriqués à partir de tissus de qualité supérieure, être facilement lavables mais également rester en bon état au bout de plusieurs lavages. »
Les valeurs et la culture d’UBS passent par des sous-vêtements fonctionnels et invisibles. Probablement s’expriment-elles encore plus précisément par le Monopoly financier de la spéculation avec, cette fois, la case « Pan sur le bec ! Vous avez perdu deux milliards » Comme quoi, l’habit ne fait pas le moine pas plus que les golden boys ne font toujours le bonheur des actionnaires » Pile, tu gagnes ; face, je perds.
Ce serait mal venu de conclure sur ces observations à vrai dire peu guillerettes. Heureusement d’autres situations éclairent telles ce week-end du côté du Bourget, comprenne qui pourra, ces émotions avec…
– Joan Baez sous la pluie chantant en français Le déserteur de Boris Vian, très amplement accompagnée par des milliers de voix ;
– La grâce heureuse des danseuses réunionnaises ;
– Cette conférence d’Edgar Morin pour qui le nouveau paradigme, celui de la métamorphose, sera construit des trois branches jusque là séparées et même opposées du socialisme auxquelles se combinera l’écologie (4);
– Ce refrain entendu partout exprimant à la fois la radicalité et l’espoir… On risque fort de l’entendre beaucoup.
Somme toute, la catharsis a du bon.
(1) Août 2011, p. 13.
(2) « Agir ou se résigner ? », revue Partage n° 216, juin 2011.
(3) Téléchargeable sur le site de l’AMGV.
(4) Edgar Morin auquel j’ai posé la question du comment résoudre le dilemme des temporalités, celle réactive et urgente de la crise et celle nécessairement progressive et lente de l’éducation populaire. Sans réponse. Probablement, cela nous aurait entraînés plus loin et plus longtemps que possible. Pourtant on pouvait lire non loin de là, sur une banderole, cette phrase de Paul Eluard photographiée supra. Or, expliquer cela n’est pas compatible avec l’urgence.