Archives de juillet, 2008

Trêve des maillots de bain…

Publié: juillet 14, 2008 dans Inclassable

Interlude…

L’été est là, ça n’est pas une nouvelle. L’été, c’est plus souvent le sudoku sur la plage, le magazine feuilleté distraitement – d’autant plus qu’il est, hélas, trop tard pour « maigrir en quatre jours » – , le roman dans lequel on pique du nez au moment de la sieste… bref ce qui permet d’accompagner l’émollience estivale sans trop de tracasseries avec le plaisant postulat philosophique que « demain sera un autre jour ».

Jusqu’à présent, la fréquentation de ce blog témoigne d’une relative régularité du lectorat, entre 200 et 300 visites par jour, avec des pointes au-delà 500. Cependant, prudence étant mère de la porcelaine, il vaut mieux anticiper : l’ordinateur supporte assez mal les grains de sable et il faut s’attendre à un relâchement. Le repos des synapses à défaut d’être celui du guerrier auprès de La belle du seigneur (Albert Cohen). C’est pourquoi, sauf « accident » (désir compulsif d’écriture, événement justifiant de se jeter corps et âme, doigts et cerveau sur le clavier), ce blog prend ses quartiers d’été. Ce sera l’occasion, côté rédaction, de faire le plein des lectures (moins cher que celui d’essence) qui nourriront ces chroniques dès la rentrée.

Lire, écrire… et communiquer…

Il faut dire que l’autodiscipline d’un article par jour est exigeante, parfois épuisante. Celle-ci recouvre trois temps successifs :

– Trouver et sélectionner l’information… ce qui n’est pas le plus difficile compte-tenu de la qualité de blogs tels que Docinsert, Emploi et Création, etc. Pour les conduites addictives de l’information, il est toujours possible de les satisfaire en s’y inscrivant.

– Lire et analyser l’information… ce qui peut être long, certains rapports étant copieux… et les rapports étant pléthore : il s’agit aussi d’éviter des traitements cloisonnés et, tout au contraire, il faut les relier, trier l’essentiel-bon grain et le marginal-ivraie, mettre à jour les invariants qui permettent de comprendre les mouvements de fond et de souffler sur l’écume des mots pour la disperser.

– Rédiger… ce qui, selon l’entrain, l’humeur ou l’inspiration, est parfois court ou parfois long, a fortiori lorsque l’ambition n’est pas exclusivement d’informer (beaucoup de sites font cela excellemment) mais de proposer une lecture décalée, sans doute partiale mais publique, donc sujette à critique et contributive du débat citoyen, guère éloignée de « l’agir communicationnel » d’Habermas, une discussion libre et équilibrée entre citoyens qui contre la logique positiviste dominatrice. Un travail délibératif du social en opposition au réductionnisme économique.

On pourrait ajouter un quatrième temps, celui de la mise en forme sur le blog… d’autant plus que votre serviteur, pour reprendre le vocabulaire de Mac Luhan, est un enfant de la Galaxie Gutenberg (l’écrit) et que la Galaxie Marconi (les signaux électroniques) recèle encore pour lui bien des mystères (« flux RSS », etc.).

Amitié celte…

Désormais, je comprends mieux un vieil ami breton d’Esquibien (Finistère, le plus beau département), Bernard Thomas, ex-rédacteur en chef du Canard enchaîné, toujours vaillant dans l’hebdomadaire – à la rubrique « Théâtre » – et bon pied – bon oeil à l’émission Le Masque et la Plume. Des années durant et deux jours avant la remise de son éditorial – succédant à Morvan Lebesque – Bernard souffrait, jusque dans son corps : « qu’écrire ? », sachant que la sanction de chaque écrit approximatif éradique en un jour les louanges, rarement exprimées, pour tous les éditoriaux hebdomadaires réussis. Toute proportion gardée, c’est un peu ce que j’ai vécu ces derniers mois. Pas de regret cependant ! L’écriture est un lien avec beaucoup d’inconnus (pas tous cependant) qui, au hasard de leurs réactions et commentaires, ne le sont plus. S’il est un thème essentiel aujourd’hui et pour demain – sur le même registre que l’objet que l’on emporterait avec soi sur une île déserte – c’est bien celui de la reliance : relier ce qui est épars, opposer la transversalité à la pensée disjonctive, être un tour operator de la migration des concepts, faire fonctionner ensemble ses deux hémisphères.

En sommeil pour se réveiller…

Tout cela pour dire que ce blog entre dans sa phase de sommeil récupérateur, avec peut-être deux-trois insomnies scripturales, et qu’il se réveillera tout début septembre, disons vers le 10, après avoir passé quelques jours avec mes amis piou-piou réunionnais de la mission locale sud (travail et sociabilité). Nous tenterons, si vous le voulez bien, une expérimentation : une ou deux journées par semaine seront réservées à vos contributions. Vous préparez puis m’envoyez votre contribution et je la publie. Chiche ? Je participe, tu participes, il participe… nous (en) profitons ! (2)

Recharger les batteries…

De mon côté, je vais baguenauder du côté des chansons et de la poésie, réécouter Changing of the guards (1),  lire – enfin ! – Atelier 62 de Martine Sonnet (3) rangé dans la bibliothèque depuis deux mois sans encore avoir été ouvert, préparer la rentrée – chargée et passionnante avec la révision et l’opérationnalisation du référentiel des missions de service public des missions locales pour le CNML, la recherche-action sur le micro-crédit personnel avec l’ANDML, etc.

En attendant, bonnes vacances !

 

(1) « Gentlemen, he said,
 I don’t need your organization, I’ve shined your shoes. I’ve moved your mountains and marked your cards
. But Eden is burning, either get ready for elimination
. Or else your hearts must have the courage for the changing of the guards. », Bob Dylan, 1978.

(2) Tout-à-fait concrètement, si vous avez envie d’exprimer une analyse, de la publier et de la partager, vous pouvez d’ores et déjà m’adresser votre texte à labbe.geste@wanadoo.fr

(3) 2008, éditions Le temps qu’il fait.

 

Une question fantaisiste ou indécente…

« Qu’est-ce qu’un travail de qualité ? » est une question rarement posée dans le secteur de l’insertion, encore moins trouvant sa réponse collective à l’échelle d’un réseau. Il y a chez les intervenants sociaux en charge de l’insertion des demandeurs d’emploi, semble-t-il, un renoncement tant sur l’expression de la question que sur sa ou, plus probablement, ses réponses. Comme s’ils avaient désormais intériorisé l’idée que, « compte tenu… » de l’état de marché, de l’employabilité de leurs usagers, de leur modeste capacité à infléchir l’hyper-sélectivité pour l’hypo-rémunération, etc., avancer le thème d’un travail de qualité, au mieux serait interprété comme une divagation d’utopiste – peut-être même de krypto-machin -, au pire serait indécent, un peu comme si l’on se préoccupait des strates culminantes de la ressassée pyramide de Maslow – appartenance, accomplissement – sans même garantir la base – besoins existentiels : manger, boire, dormir, se chauffer… En d’autres termes, la question d’un travail de qualité est fantaisiste ou insultante, donc irrecevable. Implicitement : « Si déjà on trouve du travail, cela sera pas mal ; alors, s’interroger sur sa qualité… »

Lenédanleguidon…

Ces intervenants sociaux qui abdiquent, ces piou-piou  de terrain qui n’ont pas le temps de consulter les pléthoriques rapports en boucle sur la pauvreté (qu’il faut combattre), sur la cohésion (qu’il faut maintenir) et sur l’insertion en ZUS ou ailleurs (qui est un impératif national), ont à défaut d’une culture commune une expression partagée : « lenédanleguidon ». Réellement coincés entre des temporalités contradictoires, sinon antagonistes (celles des dispositifs institutionnels cadencés au métronome électoral, des entreprises qui rêvent de génération spontanée – le salarié kleenexable parfaitement formé, aussi immédiatement disponible qu’il sera immédiatement congédiable -, des temps d’apprentissage variables suivant les personnes…), les intervenants sociaux, intermédiaires des politiques de l’emploi, parent au plus pressé. Chacun d’entre eux « accompagne » – on a le droit de sourire – 150, 200 usagers, voire plus sans que cela soit exceptionnel, ni ne trouble les mêmes qui, de colloques en cités savantes, acquiescent gravement et même avec conviction à l’absolue nécessité de l’individualisation de l’accompagnement. A cet « accompagnement personnalisé », qui fût sacralisé avec le PARE et le PAP comme alpha et oméga des conditions points de passage obligé de la remise au travail, s’ajoutent mille obligations : travailler en partenariat (ce qui prend du temps, ne serait-ce que celui de l’ajustement et de la négociation), concevoir des projets (qui, tous, ne jaillissent pas d’un eurêka), observer les territoires pour recueillir des informations puis les traiter, les communiquer, les traduire en « plans d’action », etc. En tout état de cause, s’il fallait malgré tout une réponse à la qualité du travail, elle serait toute trouvée : un travail de qualité (n’)est (qu’)un emploi « durable », point à la ligne, circulez ! C’est-à-dire six mois ou, si l’on a de la chance, plus. Administrativement. Le qualificatif de durable a ceci d’extraordinaire que son usage immodéré accompagne au même rythme, on pourrait dire sur la même fréquence, la généralisation de la précarité. Somme toute, embrassons-nous Folleville, nous allons vers un système généralisé de précarité durable ! En silence.

Préserver la santé mentale des professionnels…

Le labourage du thème du travail de qualité est inversement proportionnel à celui du travail sans qualité. Depuis, comme son nom l’indique, Le travail sans qualités de Richard Sennett (2000, Albin Michel) jusqu’aux deux « Métamorphoses », celle « de la question sociale » (Robert Castel, 1995, Arthème Fayard) et celle « du travail » (André Gorz, 1988, Galilée), nous sommes assis sur des tonnes d’ouvrages (sociologie, ergonomie…) traitant du précariat, de la flexibilité, des emplois de la néo-domesticité, des bad jobs, etc. Serait-ce à dire qu’il est plus facile de dénoncer que de proposer, de déconstruire que de construire ? Sans doute, oui. Il est en tout cas plus simple de constater la dégradation des conditions de travail, tant celle-ci est évidente, que d’imaginer les conditions d’un travail de qualité parce que, y parvenant, on prendrait le risque d’accentuer la culpabilité des intervenants sociaux : une fois objectivées les conditions objectives de la majorité des emplois auxquels les jeunes parviennent à accéder avec difficulté, la satisfaction de l’accès à « l’emploi durable » serait sérieusement ébranlée. De là à penser que, pour préserver la santé mentale des professionnels, il vaut mieux éluder la question du travail de qualité, il n’y a qu’un pas…

Du travail de qualité à « travailler plus », navrante dérive…

Cependant, en cherchant bien, on trouvera une littérature traitant du travail de qualité, à commencer par la notion minimaliste de « travail décent » affiché comme objectif depuis 1999 par le Bureau international du travail (BIT) jusqu’à la « qualité de l’emploi » objectif cette fois de l’Union européenne depuis 2000, à la suite des sommets de Nice et de Lisbonne et explicite dans la Stratégie européenne pour l’emploi (SEE), maintenu en 2003 et en 2005.

Toutefois, observe le Centre d’Études de l’Emploi, « en dépit du maintien de la « qualité de l’emploi » comme objectif commun aux pays européens, cet outil apparaît sous-utilisé depuis 2004. L’Emploi en Europe ne consacre plus de chapitre à ce thème, et les analyses empiriques utilisant les indicateurs de Laeken sont quasi inexistantes. La notion de qualité est de plus en plus tirée du côté de la productivité et de l’attractivité financière des emplois, sans référence au point de vue des travailleurs. Plusieurs raisons peuvent être invoquées pour cet affaiblissement, un effet conjoncturel tout d’abord, la dégradation de la conjoncture dans plusieurs pays européens ayant conduit à rétablir une priorité d’augmentation quantitative de l’emploi, mais également la disparition du consensus politique ayant conduit à mettre en avant un objectif de « qualité », au profit notamment des thématiques de « flexisécurité ». » (1). On ne saurait mieux dire : la qualité du travail n’est plus officiellement à l’ordre du jour. Pour preuve, le slogan présidentiel « Travaillez plus… » ne dit mot sur le bonheur au travail, se contentant de réduire celui-ci à sa stricte dimension instrumentale, « pour gagner plus ». Pourtant, il paraît que même les cadres éprouvent quelque amertume à la suite de l’amendement, adopté le 8 juillet en première lecture à l’Assemblée nationale, qui relève de 218 jours à 235 jours leur plafond de jours travaillés…(2)

Confort de la reproduction, bénéfice de la distinction.

A priori, de deux choses l’une, ou l’on poursuit les yeux rivés sur « l’emploi durable » ou l’on s’attelle à construire, diffuser et partager une conception du travail de qualité. « A priori » parce que, à vrai dire, l’une et l’autre postures ne sont pas nécessairement opposables et exclusives. On peut gérer les affaires courantes et le flux, satisfaire la demande coup de main pour un emploi quel qu’il soit, et avancer les pièces d’une stratégie pour un travail de qualité : la Reine pour la stabilité, le Fou pour l’autonomie, la Tour pour la qualification, le Cavalier pour la rémunération, etc. Retenons cependant, pour la clarté de la démonstration, le clivage entre les deux hypothèses.

Dans le premier cas, on peut s’interroger sur l’effectivité d’ambitions construites sur l’indissociabilité de la personne et, subséquemment, sur la nécessité autre qu’incantatoire d’associer projet de vie et projet professionnel, indépendance économique et autonomie sociale, accomplissement personnel et émancipation collective, etc. La finalité du travail de conseiller en est inéluctablement affectée, le projet politique et philosophique de l’insertion a bouilli au fond de la marmite des dispositifs jusqu’à ne plus être que la commande publique. Autrement formulé, l’identité du réseau est définie par d’autres, les acteurs deviennent des agents, l’autonomie a cédé devant l’hétéronomie, l’exécution s’est substituée à la création. Avantage toutefois : on ne se pose plus de questions complexes. Le confort de la reproduction.

Dans le second cas, si l’on n’a pas la garantie de la cohérence des résultats entre les finalités et les réalisations, tout au moins aura-t-on celle du processus entre ces deux dimensions : nous ne savons pas si nous y parviendrons mais nous savons que nous progressons dans la bonne direction. Ce faisant, nous consolidons notre identité de réseau et contribuons – modestement – à faire évoluer représentations et politiques publiques… ce qui, soit dit en passant, s’inscrit dans les fondamentaux des missions locales. Le bénéfice de la distinction.

Tout-cru…

Bien, va-t-on dire… Toutefois n’est-ce pas prométhéen que d’envisager, sur la base du second choix, de faire évoluer institutions… mais également entreprises qui, in fine, distribuent les cartes ? C’est possible… mais, comme Pascal, « il faut parier ». Et ce pari n’est pas qu’utopie ; il peut même être favorisé par l’évolution – si elle se confirme – de la baisse du chômage qui rétablira un équilibre entre l’offre et la demande, c’est-à-dire contraindra les entreprises à négocier… à condition que la configuration soit bien celle du plein-emploi et non celle de la pleine-activité (cf. sur ce blog « Travailler plus et mieux, tous et pourquoi ? » 2/2), ce qui ne s’obtiendra ni par la grâce divine, ni par l’aussi improbable qu’homéostatique main invisible, mais par le débat, l’éducation, aussi la confrontation. En tout état de cause, s’il faut socialiser les jeunes, il faut également civiliser les entreprises et humaniser les institutions. Sauf à être dévorés tout-crus. « Instrumentalisés », dit-on. Pour la socialisation des jeunes, le savoir-faire est là. Pour le reste, il faut commencer par nous-mêmes, par clarifier notre doctrine : que veut-on ? Nourrir la machine de l’appareil productif en lui fournissant sa main d’œuvre docile, juste formée pour s’adapter au poste, disciplinée et, d’ailleurs, éventuellement satisfaite de cette servitude (3) ? Ou insérer les jeunes dans une société qui doit elle-même évoluer vers plus d’humanité ?

 

(1) Lucie Davoine, Christine Erhel, La qualité de l’emploi en Europe : une approche comparative et dynamique, CEE, « Documents de travail » n° 86, mai 2007, p. 6.http://www.cee-recherche.fr/fr/doctrav/qualite_emploi_europe_doc86.pdf

(2) Michel Delberghe, « Les cadres, victimes des 35 heures ? », Le Monde, 10 juillet 2008.

(3) Principe même de l’aliénation, dialectique du maître et de l’esclave (Hegel, Phénoménologie de l’Esprit)…

Peut-être n’est-il pas inutile de communiquer cet extrait du rapport sénatorial de M. Bernard SEILLIER, La lutte contre la pauvreté et l’exclusion : une responsabilité à partager, déposé le 2 juillet 2008 (1). Avec un hiatus pour commencer. L’avis selon lequel, dans l’extrait qui suit, « l’accès à un revenu minimum n’est pas opportune pour les jeunes » est très contestable puisque, parmi les avocats de cette possibilité pour ne pas dire obligation au titre de la responsabilité intergénérationnelle (dans lesquels je m’inclus), l’inscription de cette allocation dans une logique contractuelle est largement partagée. Mais un vrai contrat, pas les fourches caudines d’un « emploi raisonnable » (pour qui ? ) où le déterminant exclusif est celui des besoins, pour ne pas dire des exigences non-négociables, de l’appareil productif… celui précisément dont les conditions de travail sont le facteur explicatif des difficultés de recrutement.

Néanmoins, on retiendra que, après le CERC et le CES, la commission en charge de ce rapport crédite sans ambiguïté le travail des missions locales et, concernant le contrat d’autonomie, souhaite que l’évaluation comparative avec le CIVIS prenne en compte la différence de traitement à partir de la « bourse d’autonomie » et l’allocation CIVIS… d’ailleurs surestimée à 300 euros par mois. Notons également la publication du dernier Premières Synthèses, Premières Informations de la DARES (2) où il est écrit que « la moitié des sorties du CIVIS se fait vers l’emploi. » Décidément, notre ministre a beau signer (hier) sous les caméras ses premiers contrats d’autonomie, son projet aussi « original » que « novateur »  – malgré sa campagne publicitaire – ne fait pas l’unanimité, loin de là ! Les gens sont vraiment ingrats… y compris les sénateurs et les fonctionnaires d’administration centrale ! On est toujours trahi par les siens.

Extrait…

« 2. Evaluer l’efficacité du « contrat d’autonomie » expérimenté pour les jeunes des ZUS en vue de sa généralisation aux jeunes en difficultés »

De nombreux jeunes entre 16 et 25 ans, sortis du système scolaire précocement sans diplôme, sont confrontés au chômage et ne bénéficient d’aucun revenu. En outre, ils échappent dans de nombreux cas aux circuits traditionnels de recrutement et ne sont éligibles ni au régime d’assurance chômage, n’ayant jamais cotisé, ni au RMI, son bénéfice n’étant ouvert qu’à partir de 25 ans.

La mission estime que l’accès à un revenu minimum n’est pas opportune pour les jeunes, toute allocation visant à l’autonomie ne pouvant être versée que ponctuellement et être assortie de la construction d’un projet d’insertion professionnelle durable, qui nécessite que toute aide financière soit conditionnée à la signature préalable d’un contrat.

Dans ce domaine, les missions locales jouent un rôle fondamental d’accueil, de conseil et d’orientation, qui pallie en partie les carences du service public de l’emploi : chaque année, elles accueillent près de 1,2 million de jeunes et trouvent, pour une grande majorité, des solutions d’insertion ou de formation.

Les jeunes des ZUS (entre 150 000 et 200 000) sont particulièrement exposés aux risques de pauvreté et d’exclusion sociale, du fait des difficultés spécifiques d’insertion professionnelle qu’ils rencontrent. C’est pourquoi le ministère de la ville et du logement expérimente pour 45 000 d’entre eux, un contrat d’autonomie, destiné à les accompagner vers l’emploi sur une durée limitée à un an (6 mois avant l’entrée dans l’emploi et 6 mois après l’embauche).

Le programme, doté de 250 millions sur trois ans, finance le dispositif d’accompagnement qui sera confié à des organismes publics ou privés et offre aux jeunes une « bourse d’autonomie » de 300 euros par mois durant les six premiers mois pour faciliter leur recherche d’emploi.

Il s’agira d’évaluer ce dispositif et de le comparer notamment aux résultats obtenus par le contrat d’insertion dans la vie sociale (CIVIS), outil principal d’insertion des missions locales, dont le coût ne représente que 900 euros sur un an et qui a déjà permis d’accompagner 500 000 jeunes et d’offrir à plus de 105 000 d’entre eux un emploi durable. »

 Ah, qu’est-ce que cela fait du bien après tout ce que l’on a vécu et avant de partir en vacances !

 

(1) Rapport d’information n° 445, 2007-2008, http://www.senat.fr/rap/r07-445-1/r07-445-145.html

(2) http://www.travail-solidarite.gouv.fr/IMG/pdf/2008.07-29.3.pdf

 

 

Robert Castel : sociologie critique et humanité…

Je l’ai écrit : dommage que, pour sa juste dénonciation de L’insécurité sociale (2003, « La République des idées », Seuil), Robert Castel se soit senti obligé de commencer son article par une critique des thèses de Dominique Méda et de Jeremy Rifkin (cf. sur ce blog : « Fusion ANPE-Assédic : ça s’organise »). Dommage aussi qu’il ait préfacé L’insertion malgré tout de Denis Castra et Francis Valls (cf. sur ce blog : « Au sujet de la préface par Robert Castel de L’insertion malgré tout… »). Cela pourrait faire beaucoup de « dommage », suffisamment pour éviter lecture et a fortiori analyse de l’article de Robert Castel, « Travailler plus, pour gagner quoi ? », paru dans Le Monde du 9 juillet 2008. Mais voilà, il s’agit de Robert Castel. Et, depuis Les métamorphoses de la question sociale (1995, Arthème Fayard) jusqu’à La discrimination négative, (2007, Seuil) en passant par Propriété privée, propriété sociale, propriété de soi (avec Claudine Haroche, 2001, Fayard), Robert Castel occupe une place majeure dans le paysage des chercheurs qui s’intéressent au social, singulièrement avec son thème de prédilection (déjà présent dans Les métamorphoses de la question sociale), la « propriété sociale ». Ayant travaillé avec Bourdieu dans les années 60, ses écrits s’inscrivent dans une perspective de sociologie critique – avec les concepts de « surnuméraire », de « précariat », de « désaffiliation »… – mais il y a en plus chez Castel une humanité et même un humanisme qui permettent au lecteur et professionnel de l’insertion une connivence, quelque chose guère éloigné de l’empathie… sur le même registre que lui-même avec ses objets de recherche : « S’agissant en revanche de questions qui tournent autour du risque de basculer dans le malheur, comme lorsqu’on parle de vulnérabilité ou de désaffiliation, je ne pense pas que l’on puisse les traiter un peu sérieusement sans avoir une certaine affinité avec ces situations. » (2001, p. 183).

La triade de l’idéologie dominante…

On aurait donc tort de s’arrêter aux premières lignes de « Travailler plus, pour gagner quoi ? » car, rapidement, Robert Castel reprend sa place d’acteur et de chercheur engagé… sans se tromper de cible : « On assiste, au contraire, à une extraordinaire survalorisation du travail portée par une idéologie libérale agressive qui trouve sa traduction politique directe dans les orientations de l’actuelle majorité, président de la République en tête. La virulence de la critique des lois dites « lois Aubry » sur la réduction du temps de travail après le changement de majorité en 2002 a parfois frôlé l’hystérie. » Robert Castel pointe ensuite le processus de stigmatisation qui accompagne corollairement la survalorisation purement idéologique du travail (cf. sur ce blog « Bizarre ce « travailler plus » quand il fait beau ») avec, d’un côté, ceux qui se lèvent tôt pour travailler et déductivement, de l’autre, ceux qui ne se lèvent pas et ne travaillent pas : « C’est le soupçon qui pèse sur les chômeurs d’être des chômeurs volontaires… c’est aussi la condamnation des assistés… » Ce que j’appelle une pensée du raccourci et raccourcie qui fabrique l’illusionnisme social est aussi une pensée qui s’assoit sur l’évidence : « … l’une des caractéristiques de la situation actuelle est précisément que le travail manque et que le plein-emploi n’est plus assuré depuis trente ans. » Ainsi on peut décrypter le discours dominant à partir de cette triade : une situation objective de « pénurie de places disponibles », « une survalorisation du travail qui en fait un impératif catégorique » (donc – on se souviendra de Kant – une obligation morale) et « une stigmatisation du non-travail assimilé à l’oisiveté coupable ».

De la nuance (de taille) entre plein-emploi et pleine-activité…

Cette articulation de trois composantes impulse « une politique pouvant conduire à la pleine-activité sans que cela signifie le retour au plein-emploi », c’est-à-dire une situation où chacun travaille sans pour autant disposer des conditions de l’indépendance économique : « C’est ainsi que l’on devient un travailleur pauvre, figure qui est en train de s’installer dans notre paysage social. » puisqu’il vaut mieux « être un travailleur pauvre… qu’un mauvais pauvre, un misérable parasite assisté. » C’est ici le cœur de la thèse soutenue par Castel dans cet article (et ailleurs) : le nouveau capitalisme, après le capitalisme industriel, précarise les emplois (emplois atypiques, contrats aidés…), s’attaque « au statut de l’emploi en dénonçant les coûts qu’il représente et les obstacles qu’il met au libre développement de la concurrence au niveau de la planète ». Ainsi « L’insécurité sociale est de retour, et un nombre croissant de travailleurs vivent de nouveau « au jour la journée », comme on disait autrefois. », c’est-à-dire avant le salariat, à l’époque des « paumés de la terre » pour reprendre les termes de Castel dans Les métamorphoses de la question sociale (p. 225).

Face à cette offensive néo-libérale, « un chantage d’ordre moral », Robert Castel appelle à défendre la valeur travail, « parce qu’on n’a pas encore trouvé d’alternative consistante au travail pour assurer l’indépendance économique et la reconnaissance sociale dans une société moderne. » Cependant cette réhabilitation du travail ne peut être détachée d’un combat contre « les formes dégradées d’emploi » : « il faudrait respecter la dignité des travailleurs. » sont les derniers mots de l’article.

Une adhésion… mais des questions.

On ne peut, de toute évidence, que souscrire à cette proposition. Toutefois force est de constater deux choses, ceci particulièrement en ce qui concerne l’insertion des jeunes :

– Les conditions objectives d’entrée sur le marché du travail réservées à ces derniers construisent chez eux une mise à distance intériorisée, une secondarisation psychique de la valeur travail qui est de moins en moins envisagée comme support de l’identité et de plus en plus comme moyen de subsistance. Autrement formulé, les dimensions sociale (appartenir) et symbolique (s’accomplir) du travail s’estompent au bénéfice de la dimension purement instrumentale (être rémunéré). Comment faire, dans ce cas, c’est-à-dire face à des jeunes sans illusion (et pourtant bien des fois « enchantés », c’est-à-dire vivant dans un imaginaire où travail et ressources financières sont déconnectés, celles-ci s’obtenant par le jeu, le hasard…) pour imaginer un projet professionnel, plus largement d’intégration, qui appelle sinon la possibilité immédiate du moins l’espoir d’y parvenir à long terme ?

– Pris en étau entre leurs convictions, certes guère éloignées de celles défendues par Robert Castel et tout-à-fait cohérentes avec une culture commune issue de l’éducation populaire, une commande publique pour qui la « qualité » de l’emploi est strictement définie par sa durée minimale (six mois ou plus) et une pénurie d’emplois, les intervenants sociaux sont « comme un passeur qui s’apercevrait en cours de traversée qu’il n’y a plus de berge où conduire son passager », juste métaphore de… Robert Castel dans « Du travail social à la gestion sociale du non-travail » (1). Là aussi, comment faire ? Ce sera peut-être l’objet d’un prochain article de Robert Castel. De mon côté, maintes fois répété dans ces lignes, la cohérence interne (de chaque mission locale et du réseau) est le pré-requis parce que, à l’inverse, si les missions locales continuaient à fonctionner dans un système cohérent idéologiquement mais incohérent humainement et intellectuellement, elles seraient inéluctablement condamnées à l’entropie.

(1) Revue Esprit n°241, A quoi sert le travail social ? mars-avril 1998, p. 42.

Qui trop embrasse…

Entre rapports officiels, circulaires, contrat d’autonomie… et nouveau conseil d’administration de l’ANDML, l’actualité foisonne et tourbillonne avec le risque d’une sur-information qui obèrerait la réflexion. Et pourtant… A trois semaines d’intervalle, parution dans Le Monde de deux articles de taille comparable et apparemment sur le même sujet, « Travailler tous, et mieux » (18 juin) par Dominique Méda et Pierre-Alain Muet, « Travailler plus, pour gagner quoi ? » (9 juillet) par Robert Castel. On ne pouvait pas ne pas s’arrêter sur ces deux contributions… à commencer aujourd’hui par Méda et Muet.

Défense des 35 heures et partage du travail.

« Travailler tous, et mieux » est un article exprimant la position du parti socialiste (enfin celle de socialistes, tant il semble hasardeux que ce parti parle d’une seule voix), dont le point de départ est la critique de la déconstruction des 35 heures par le gouvernement et dont le point d’arrivée correspond à des éléments de programme politique (congrès d’Amiens ?). La contestation s’appuie entre autres sur la défense du bilan de la réforme Aubry (350 000 emplois créés) et sur le constat d’une « croissance française {qui} a été très supérieure à la croissance européenne » durant la période 1997-2002. Sur ce dernier point, mais sans doute les contingences inhérentes d’un article de quelques milliers de signes sont-elles explicatives, il y aurait bien plus à dire et à moduler… ne serait-ce qu’en reprenant  les arguments – justes – exposés dans Qu’est-ce que la richesse ? (1999, Aubier) par cette même Dominique Méda qui écrivait alors : « Le bonheur ne se réduit pas au taux de croissance » (p. 101). Le plaidoyer, fort heureusement, ne se limite pas à ce satisfecit sur la croissance, mettant en avant des comparaisons internationales (les Français travaillent plus en moyenne que les Allemands et les Scandinaves qui, pourtant, affichent de meilleures performances économiques), une évolution sociétale tendancielle longue (« … ce qui caractérise le développement économique depuis la révolution industrielle, c’est la relation étroite entre la réduction du temps de travail et les gains de productivité. »), les effets bénéfiques de la RTT sur la vie familiale (meilleure répartition des tâches parentales et domestiques), etc. Sans doute la critique la plus percutante, parce que de bon sens, est-elle celle qui vise le slogan présidentiel, lui de sens commun : « En privilégiant les heures supplémentaires des salariés à temps complet, le gouvernement tourne le dos à ceux qui ont réellement besoin de travailler plus pour gagner plus : les chômeurs, les allocataires de minima sociaux qui n’accèdent pas  un accompagnement vers l’emploi, les salariés travaillant sur des temps partiels courts et mal rémunérés… » Le thème du « partage du travail » (très inconvenant dans l’air du temps) n’est pas explicité, on peut le regretter, mais c’est bien de cela dont il s’agit… sauf à accentuer les inégalités, à constituer une underclass de travailleurs pauvres et de surnuméraires.

Deux réformes ultra-prioritaires : qualifier et reconsidérer les fondamentaux du SPE…

Toujours est-il que deux grandes réformes « doivent constituer pour les socialistes la priorité ». Tout d’abord, investir dans la qualification des jeunes à tous les âges – « formation professionnelle tout au long de la vie » – (1), ceci dans une conception globale puisque, s’il s’agit d’accéder à l’emploi, la participation à la vie sociale est également visée. Pour les auteurs, « le développement d’un service public d’accueil de la petite enfance et la qualité de l’emploi en constituent deux éléments-clés. » Deuxième réforme, « réorganiser en profondeur les services publics chargés de l’emploi et de l’insertion ». Ne connaissant pas les auteurs, on se serait attendu au pire car, somme toute, cette réorganisation « en profondeur » est incontestablement à l’œuvre avec la mise en concurrence, l’obligation de résultat, les moyens non pas constants mais en baisse, etc. Bien sûr, il ne s’agit pas de cela mais d’abord d’une philosophie de l’action à laquelle on ne peut que souscrire : « … passer de l’ère du contrôle et de la prescription à celui de la décentralisation et de l’aide bienveillante. » Je concluais un article dans la revue Territoires (avril 2007), « L’abbé Pierre était-il efficient ? » par ces mots guère éloignés : « …invitons les instances nationales en charge de l’intérêt général à se coordonner pour résoudre  cette « crise de l’intelligence » (M. Crozier, 1995), pour – enfin – parler du social dans une perspective d’acteur (compréhensive, complexe et encourageante) et non dans celle, exclusive, d’un système (hémiplégique, disjonctif et soupçonneux). Chaque partie ne s’en portera que mieux. » En fait de réforme du SPE, c’est plus exactement la reconsidération de ses fondamentaux dont il est question : en s’appuyant sur la négociation sociale (il n’est pas dit quels seraient les interlocuteurs de cette négociation mais on peut espérer, contrairement à la position des Assédic dans les maisons de l’emploi, que les organisations de chômeurs seraient parties prenantes), atteindre le plein-emploi en accompagnant de façon personnalisée les chômeurs tout en sécurisant les situations des salariés (« disposer d’une assurance emploi effective »). Outre une posture plus soupçonneuse que confiante (alors même que Christian Charpy reconnaît que le nombre de chômeurs qui fraudent « est infime », Le Monde, 28 juin 2008), qui correspond à ce que l’on appelle « une prophétie auto-réalisatrice » (c’est-à-dire mettant en place en l’énonçant les conditions pour qu’elle se réalise), on remarquera que l’orientation actuelle du gouvernement est a priori similaire en ce qui concerne l’accompagnement personnalisé (2) et même pour la sécurisation des parcours (cf. l’abondante littérature officielle sur la « flexisécurité », les expérimentations du contrat de transition professionnelle…). « A priori » car il faut, d’une part, aller voir sur quelles bases repose l’accompagnement personnalisé, en l’occurrence le nouveau principe-épée de Damoclès de « l’offre raisonnable » (3), et, d’autre part, juger sur pièces ce que les faits nous renseignent : une diminution objective des « inclus » sous la double injonction de l’impératif de flexibilité (privé) et du slogan « Moins d’État, mieux d’État » (public).

Autrement formulé, le « précariat », notion chère à Robert Castel dont, précisément, on parlera prochainement.

 

(1) Là aussi, sans doute, les contingences d’un article impliquent un survol… Car, si l’objectif de qualification n’est pas contestable, dès lors que celui-ci est associé (comme c’est le cas ici) au « plein emploi », il faut se défier du raisonnement simpliste et mécaniste. Comme l’écrit José Rose, « Le modèle adéquationniste repose sur des postulats forts et peu réalistes. » (Des formations pour quels emplois ? 2005, La Découverte, p. 369). A cet approfondissement théorique on peut ajouter l’expérience historique des toutes premières années des missions locales et – plus encore – des PAIO, lorsque l’imminence d’un retour aux fastes années des Trente Glorieuses avait justifié une politique du « tout formation » L’hirondelle des états mensuels de DEFM ne fait pas le printemps, encore moins l’été, du plein emploi.

(2) Rappelons que le principe d’un accompagnement personnalisé de chaque demandeur d’emploi a été retenu en 2001 avec le PARE puis le PAP.

(3) « Étrangement, le thème de l’offre raisonnable (ou valable) d’emploi ressort en France à chaque fois que, comme à la fin des années 1990 ou aujourd’hui, le marché de l’emploi s’améliore au rebours des autres pays. {…} Tout se passe comme si, lorsque le rapport de force devient trop favorable aux demandeurs d’emploi et que s’accroissent leurs capacités de négociation, les employeurs tentaient d’augmenter le volant de main d’œuvre disponible en réduisant la marge de manœuvre de ceux qui offrent leur force de travail. En 2000, le Medef proposait, avec le plan d’aide au retour à l’emploi (PARE), d’élargir la notion de qualification correspondante au poste offert à celle de « capacité » à l’occuper. Et, aujourd’hui, nous avons « l’offre raisonnable »… » Carole Tuchszirer, « Une volonté d’augmenter le volant de main d’œuvre disponible », Le Monde, 10 juin 2008.