Archives de avril, 2009

Quoique antérieur, dans la lignée de « bac + 8 à insérer », proposition d’un cheminement avec un article de Louis Chauvel paru dans la Revue de l’OFCE en janvier 2006, « Les nouvelles générations devant la panne prolongée de l’ascenseur social ». On peut le lire en le téléchargeant sur le site de Louis Chauvel, indiqué dans le « Blogroll » en bas à droite  (1). Résumé, extraits et digressions analogiques : « Sans l’intuition, la raison est stérile ; sans la raison, l’intuition est irrecevable ». C’est Descartes.

Une génération en creux…

Tentant de dépasser une approche culturaliste et contrairement par exemple à la « génération 68 » qui a vécu des « évènements historiques à portée symbolique et culturelle », pour Louis Chauvel les jeunes constituent aujourd’hui « une génération, sinon en creux, par défaut ». Pour autant, un « événement fondateur » les agrège car, contrairement à leurs aînés qui « ont connu 6% de taux de chômage dans les douze mois de leur entrée dans le monde du travail, eux sortis en 1985 ont fait face à un taux moyen de 33%… ». Ainsi « L’avènement du chômage de masse concentré sur les jeunes est un événement historique moins visible que mai 1968, mais il pourrait être en revanche plus massif, démographiquement voire culturellement. »

Louis Chauvel identifie « trois grandes fractures intergénérationnelles… : la remise en cause de leur position économique relative {par rapport aux générations qui les précèdent}, des déclassements sociaux plus fréquents, une marginalisation dans l’accès au politique. »

Une position économique dégradée…

« En 1975, les salariés de cinquante ans gagnaient en moyenne 15% de plus que les salariés de trente ans… Aujourd’hui, l’écart est de 40%… La lecture générationnelle permet de comprendre que les jeunes valorisés d’hier sont devenus les seniors favorisés d’aujourd’hui. » Ainsi, « les premiers nés du baby-boom ont… profité de la dynamique de l’emploi… Les suivants ont subi la remise en cause de cette dynamique. » D’autre part, s’observerait un effet de rémanence, c’est-à-dire le fait que « la situation à trente ans conditionne les perspectives à tout âge ultérieur. » Sachant qu’une proportion non négligeable des jeunes rencontrant des difficultés traînent déjà derrière eux le poids d’un destin social lourd (celui d’une classe fragmentée susceptible de basculer dans la catégorie des surnuméraires, celui de modèles parentaux déjà affectés par la gangrène du chômage), on peut se dire que, face à cela, l’enjeu d’un accompagnement, d’une part dense, d’autre part qui vise une reconstruction identitaire positive durant cette phase de « socialisation transitionnelle », est majeur. Tant les moyens mobilisables – 150 à 200 jeunes, voire plus, à suivre par conseiller – que les consignes – orientation rapide vers l’emploi plus que projet professionnel multipliant et même encourageant de multiples expérimentations qu’avec le temps on sédimenterait en expérience – apparaissent décalés et fondés sur l’axiome selon lequel il suffirait d’un emploi, la plupart du temps rémunéré a minima et précaire, pour que la métamorphose s’opère, pour que – reprenant Maslow – la grimpette de la strate des besoins de survie (manger, boire, dormir, se chauffer) à celles de la reconnaissance et de l’accomplissement se fasse la fleur au fusil et au pas de course. Si cette jeunesse est « difficile » et « en panne d’avenir » (2), un simple rafraîchissement de son édifice ne suffira pas car, à la moindre intempérie ou secousse, il se lézardera révélant des fractures non-réduites, juste maquillées. Nonobstant son caractère un peu sexiste, la métaphore météorologique marine et bretonne « Ciel pommelé, femme fardée, sont de courte durée » constitue un avertissement : le ciel est nuageux, de ces cumulus-boules de ouate qui peuvent basculer en cumulonimbus. Les vents verticaux y soufflent parfois à plus de 100 km/h.

Sans doute le « plan jeunes » est-il critiquable à partir de sa quasi-exclusive orientation « entreprises » ; sans doute aussi, l’option « alternance » quoique guère novatrice est-elle par contre bonne dès lors que le lien entre l’employeur et l’apprenti n’exonère pas le premier d’une reconnaissance sonnante et trébuchante ; cependant – et c’est ici que, sans même évoquer la signification en termes de reconnaissance, le mutisme sur les missions locales est inquiétant – le « plan jeunes » est et n’est que structuré sur une base économique, le social étant abandonné à la grâce homéostatique d’une autre main invisible, l’emploi. Pour être juste, le président de la République, dans son discours, a indiqué que des propositions face à d’autres problèmes que l’emploi seraient faites, dans la dynamique de la commission Hirsh, d’ici quelques semaines. Attendons. Espérons.

Le Conseil économique, social et environnemental écrivait dans son rapport présenté le 22 octobre 2008, 25 ans de politiques d’insertion des jeunes : quel bilan ?, « … la jeunesse tend à être conçue comme une phase d’expérimentation et de recherche de soi dont la durée est indéterminée {pour une fois !} et l’horizon lointain. » (p. 12). Mais l’urgence sociale régulièrement redécouverte ainsi que le temps court des programmes impactent le temps long de la socialisation, obèrent la possibilité des expérimentations multiples de tout ordre, réduisent d’autant les opportunités de faire coïncider projet professionnel et projet de vie, extirpent tout investissement symbolique dans un métier en ne retenant qu’un investissement instrumental dans un emploi. Paraphrasant le même Louis Chauvel mais cette fois dans un autre ouvrage plusieurs fois cité sur ce blog, Les classes moyennes à la dérive (3), on pourrait poser la question « Les jeunes sont-ils jeunes ? » ou, plus explicitement, laisse-t-on aux jeunes le temps de leur jeunesse ? Nul doute que l’on se prépare ainsi de surprenants lendemains, ceux des gueules de bois après l’ivresse d’une consommation rapide et excessive. Le pronostic de Philippe Engelhard à propos de l’acculturation accélérée de sociétés traditionnelles dans la modernité est valable ici pour notre jeunesse : « Certaines sociétés, catapultées violemment dans la modernité occidentale, sont contraintes de remiser aux oubliettes leur appareil mental de traitement de la durée. On voit mal comment elles en sortiraient indemnes. » (4)

Le déclassement…

Avec le déclassement, notion désormais commune – on pense aux expressions d’ « ascenseur social en panne » ou de « descenseur social » (5) -, Louis Chauvel pointe « un important revirement des chances d’ascension sociale … les 30-34 ans … maintenant font face à presque autant de risques de déclin que d’ascension sur la pyramide sociale. » Comme l’écrivaient François Dubet et Marie Duru-Bella, « Alors que nous avons longtemps vécu sur la confiance dans l’avenir, dans l’idée que demain serait meilleur qu’aujourd’hui, la tendance se renverse et nombre de Français pensent que demain sera pire qu’aujourd’hui et que nos enfants vivront plus mal que nous. En 2004, 60 % des Français se déclarent optimistes pour leur propre avenir alors qu’ils ne sont que 34 % à l’être pour ce qui est de l’avenir de leurs enfants. Ce sentiment ne procède pas d’un appauvrissement général (le niveau de vie moyen a sensiblement augmenté durant les vingt dernières années), mais de la crainte que le long processus de promotion et de mobilité sociale se retourne en menaces de chute et de déclassement, menaces d’autant plus mal vécues qu’elles prennent place dans une « société de classement » marquée par le souci de la sélection et de la hiérarchisation. Cette crainte est fondée… » (6).

Ce déclassement, dont on connaît une illustration avec le technicien de surface bac + 5 et la généralisation (faut-il parler de « contamination » ?) de l’insertion à toute une classe d’âge (7), s’exprime dans la dévalorisation des titres scolaires, « processus où, par surabondance de diplômés par rapport aux positions sociales disponibles, une partie importante des jeunes diplômés ne peuvent plus envisager les mêmes carrières que leurs aînés. » Phénomène aiguisé par le fait que, même si le baby-boom se transforme en papy-crash, nombre d’adultes inclus, cédéisés, queue de comète du compromis fordiste puis des trente glorieuses, demeurent en place sur des postes de responsabilité mais avec un capital culturel inférieur à celui des jeunes qui piétinent. D’où la lutte des places (8), intergénérationnelle, que risque d’accentuer « l’effet de déplacement catégoriel  {qui} correspond au fait que l’entreprise substitue une catégorie de salariés à une autre afin de bénéficier de la subvention. » (9).

Une marginalisation dans l’accès au politique…

Louis Chauvel poursuit son article par un focus généralement moins développé, sinon pour constater et déplorer un manque d’investissement politique des jeunes. Hier matin, sur France Culture, Guy Rider, le secrétaire général de la CSI (confédération syndicale internationale, première coalition syndicale au monde qui représente 168 millions de travailleurs dans 155 pays) reconnaissait que « le syndicalisme a un problème avec la jeunesse ». Formule heureuse car, pour une fois, elle inverse la perspective de la place du problème : des jeunes « en difficulté » à la société en difficulté. Ainsi Louis Chauvel rappelle que « en 1982, l’âge du représentant syndical ou politique moyen était de 45 ans, et il est de 59 ans en 2000 », que « les députés de moins de 45 ans représentaient 38% de l’Assemblée en 1981, et seulement 15% en 2002 », que « les nouvelles générations sont en même temps durablement absentes du jeu politique institutionnel »…

Si encore les seniors qui occupent le Parlement témoignaient d’une assiduité sans faille ! Car « Travailler moins pour gagner plus » pourrait être le slogan de beaucoup de parlementaires dont la permanence sur les bancs n’est certes pas le point fort. Mais est-ce bien grave, interroge Le Monde du 28 avril dernier, dans la mesure où « le débat peut paraître insolite aux yeux de citoyens habitués à ce que la présence au travail soit la règle »… pour eux mais pas pour leurs édiles. Rappelons que le 9 avril le projet de loi Création et Internet a été rejeté en séance publique par 21 voix contre 15… quand l’Hémicycle compte 577 élus. Rappelons également qu’un parlementaire perçoit 7000 euros d’indemnités de fonction, de base et de résidence et que le règlement de l’Assemblée nationale prévoit en cas d’absences répétées des sanctions… qui « en pratique, ne sont jamais appliquées. » Il faut dire que ces mêmes édiles occupent généralement d’autres fonctions électives. On se demandait comment il était possible de cumuler trois, voire quatre mandats. C’est simple : il suffit d’occuper trois ou quatre temps partiels. Dès lors que les appointements, eux, ne sont pas proratisés. Tout cela plutôt que partager le travail parlementaire, l’exercice élargi et rajeuni du débat et de la décision démocratiques. Le jour où le populisme sévira, il ne sera plus temps de gonfler les poitrines ornées d’écharpes tricolores pour entonner le couplet du front ou du sursaut républicain.

Théoricien…

Louis Chauvel conclut « Générations invisibles, elles sont en même temps l’expression profonde des périls qui nous attendent » et ses dernières phrases méritent d’être rapportées in extenso : « … beaucoup de choses dépendent encore du rythme absolu de la croissance, ce dont dépendra la taille de la part de gâteau qui reviendra à chacun. En la matière, deux perspectives s’ouvrent : un rebond durable de la croissance offrirait aux générations à venir des conditions meilleures de mobilité sociale ascendante en termes absolus, tout à la fois par rapport aux parents et par rapport au diplôme. Au contraire, le prolongement pendant plusieurs décennies encore de la croissance très ralentie des trente dernières années aurait un effet délétère sur des générations de mieux en mieux formées, pour qui les conditions d’insertion en France seraient de moins en moins attrayantes. Dès lors, sachant la désocialisation des jeunes générations par rapport aux syndicats et aux partis les plus institutionnalisés, le déclassement de masse de la population française qui résulterait d’une stagnation encore prolongée aurait des conséquences lourdes pour la stabilité politique d’ensemble. Nous en avons déjà vu différents signes. »

Les dernières lignes, cette fois, de son ouvrage Les classes moyennes à la dérive : « Tout cela pour que nos générations puissent avoir un jour le sentiment de n’avoir pas vécu en vain. Malheureusement, depuis longtemps, les années électorales sont rarement le bon moment pour poser des questions trop sérieuses. Et, ensuite, il est trop tard. »

Décidemment, cet homme est au mieux un Cassandre, au pire un théoricien. Or « Je préfère confier une mission à quelqu’un {Henri Proglio, président de Véolia} qui a démontré ce qu’il savait faire plutôt que de la théorie. On a besoin maintenant de praticiens, de gens opérationnels, pas de gens qui parlent. De gens qui font. » C’est le président qui l’a dit… même si ce n’est pas écrit dans son discours. Exactement l’inverse que pour les missions locales : écrit mais pas dit.

(1) On trouvera à peu de choses près cet article dans l’ouvrage collectif La nouvelle critique sociale, 2006, Seuil-Le Monde, « La République des idées ».

(2) Une jeunesse difficile. Portrait économique et social de la jeunesse française, études coordonnées par Daniel Cohen, incluant « Une jeunesse en panne d’avenir » (Christian Baudelot et Roger Establet), 2007, CEPREMAP, éditions ENS rue d’Ulm.

(3) 2006, Seuil-Le Monde, « La République des idées », p. 23.

(4) Philippe Engelhard, L’homme mondial. Les sociétés humaines peuvent-elles survivre ? 1996, Arléa, p. 339.

(5) Philippe Guibert, Alain Mergnier, Le descenseur social. Enquête sur les milieux populaires, 2006, Plon, Fondation Jean Jaurès.

(6) François Dubet, Marie Duru-Bella, « Déclassement : quand l’ascenseur social descend », Le Monde, 23 janvier 2006.

(7) Sur ce blog, « Bac + 8 à insérer », 29 avril.

(8) Vincent de Gauléjac, Isabel Taboada-Léonetti, La lutte des places : insertion et désinsertion, 1994, Desclée de Brouwer.

(9) Sur ce blog, « Plan jeunes : il faut sauver l’entreprise ! », 26 avril, note n° 6.

Silence du président

Publié: avril 29, 2009 dans Insertion/missions locales

Inquiétant…

Sur le site de Jean-Patrick Gille, député PS et nouvel administrateur du CNML, on peut lire un article daté du 25 avril, « Annonces Sarkozy sur les jeunes : des mesures du passé pour une génération no future » (1), rejoignant ma conclusion « ça sent le roussi » de « Plan jeunes : il faut sauver l’entreprise ! » : « Les mesures du jour vont nécessiter un accompagnement social et professionnel des Jeunes d’une grande ampleur. Or force est de constater que Pôle Emploi – qui rencontre des difficultés à l’heure de ses premiers pas – ne pourra assumer cette activité. Les acteurs de proximité que sont les Missions Locales devraient être des interlocuteurs reconnus et soutenus pour le développement de leurs actions. Le silence de l’État sur ce sujet inquiète. » D’autant plus qu’on ne saurait reprocher au président un caractère trop introspectif.

Crise de nerfs…

A propos de Pôle emploi, à la Une du Monde de ce jour, 29 avril, « Voyage dans les méandres de Pôle emploi, confronté à l’afflux continu des chômeurs ». On y lit que « Les jeunes sont les premières victimes de la dégradation continue du marché du travail : + 4% en mars, + 35,8% sur un an. Les statistiques montrent aussi que la part des licenciements est en hausse, preuve que la crise touche désormais, au-delà des travailleurs précaires, les salariés en durée indéterminée. » Concernant les jeunes, les piou-piou s’en étaient rendus compte avec l’augmentation des premiers accueils. Concernant Pôle emploi, le directeur de l’agence de Bayeux « allume un cierge tous les matins pour que les renforts arrivent vite », sorte de version spirituelle de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Les agents seraient « au bord de la crise de nerfs » et « le service public de l’emploi vire au cauchemar. » Au fait, quel sénateur président de la commission jeunesse déclarait il y a une semaine qu’il fallait intégrer les missions locales dans Pôle emploi ?

Gouverner c’est prévoir. Non : c’était.

(1) http://www.jean-patrick-gille.fr/spip.php?article1240

J’ai écrit dans mon analyse du discours du président – qui suscite beaucoup de contributions – que pas une seule fois les missions locales n’avaient été citées. Ce à quoi une directrice de mission locale m’a indiqué l’inverse et m’a transmis le texte du discours qui, effectivement, cite ces structures. Il y est écrit : « Les opérateurs qui seront chargés d’accompagner et de former ces jeunes seront sélectionnés sur appels à projets. Ils auront l’obligation de réaliser un diagnostic individuel, de définir avec chaque jeune un parcours de formation adapté à ses besoins, de le suivre pendant son stage de façon personnalisée et bien entendu de rendre compte à Pôle emploi ou à la mission locale des résultats atteints. »

Pas vexé pour autant mais un peu obstiné, dans la mesure où j’avais phrase après phrase vu et écouté ce discours, l’interrompant pour prendre des notes, je suis retourné sur le site de Libération (http://www.liberation.fr/politiques/0601854-l-integrale-le-discours-de-sarkozy-sur-les-jeunes ). Et bien, confirmation : « ou à la mission locale » n’a pas été prononcé.

Symptomatique ? On verra. En attendant, c’est bien la peine qu’Henri Guaino écrive ses discours…

Bac + 8 à insérer

Publié: avril 29, 2009 dans 1

Reçu ce jour par courriel Doc Pro News, le magazine pour l’insertion des jeunes avec l’ABG. L’ABG est l’Association Bernard Gregory, créée en 1980, qui « a pour mission de promouvoir la formation par la recherche dans le monde socio-économique et d’aider à l’insertion professionnelle en entreprise des jeunes docteurs de toutes disciplines » (http://www.abg.asso.fr/display.php?id=352&mz=0 ). C’est un mensuel court – trois pages – et c’est le numéro 2.

Au sommaire, le parcours d’un jeune polytechnicien recruté par une start-up : « Mêmes difficultés avec l’APEC où on lui conseille d’activer ses réseaux plutôt que de consulter les offres d’emplois publiées… » Une page sur le « contrat doctoral », un dispositif de financement pour faciliter l’insertion professionnelle des doctorants (70 000 en France). Des annonces de manifestations (salons…), un petit article pour encourager les doctorants et docteurs (« 96% des docteurs ont trouvé un emploi en moins d’un an ») et l’annonce que l’ABG lance avec les éditions Eyrolles « une collection de guides pratiques baptisée « Docs&Co » {qui} visent à mieux faire connaître les jeunes docteurs, rendre justice à leurs multiples talents et les aider à trouver un emploi ».

Quoi de plus ordinaire que l’on aide de jeunes chercheurs à s’insérer ? Sauf que la question est précisément que soit posée la question de leur insertion. Ce, pour des jeunes bac + 8 ou plus. On en déduira trois choses. Le capital culturel ne suffit plus pour mécaniquement trouver sa place dans la société. Le capital social fait la différence (« activez vos réseaux ! »). L’insertion n’est plus réservée aux 100 ou 120 000 jeunes non-diplômés à leur sortie du système de formation initiale mais est devenue une quasi-période de sas entre jeunesse et adultéité.

Ce qui, soit dit en passant, interroge les missions locales qui ont la responsabilité – titre 2, article 13 de la loi de programmation pour la cohésion sociale – de la mise en œuvre du droit à l’accompagnement pour « tout jeune de seize à vingt-cinq ans révolus rencontrant des difficultés d’insertion professionnelle ». On se souviendra qu’en 2000 Martine Aubry introduisait le Protocole 2000 d’un préambule indiquant « au moment où la situation de l’emploi s’améliore, tous les efforts doivent converger pour faire progresser les chances d’insertion des jeunes les plus en difficulté ». Discours de « recentrage » sur le thème de l’équité, faire plus pour celles et ceux qui ont moins, en direction des missions locales tentées en cette courte période faste d’aller compenser leur infléchissement de premiers accueils en grappillant du côté des diplômés.

Nous n’en sommes plus là. Nous en sommes à savoir accueillir, informer, orienter, accompagner des jeunes de niveaux « V et infra » à « III, II et I ». Côté jardin, aider l’insertion. Côté cour, toute une génération pour qui l’insertion n’est plus un passage simple du monde de la formation à celui du travail. A l’autre bout du spectre générationnel et avec l’allongement de la durée du travail sur fond de taux d’activité insuffisant des seniors, le même brouillage. On appelle cela « la fin du modèle ternaire » (formation – emploi – retraite). Entre les deux, insertion et retrait, la discontinuité sur fond de promotion de la mobilité par les bateleurs de la flexibilité, eux généralement très stables.

Dans quel sens le monde tourne-t-il ? Et, surtout, pour qui et pour quoi tourne-t-il ? « Est-ce que ce monde est sérieux ? » chante Cabrel. Décidément de moins en moins.

Une contribution de David à laquelle succèdera celle d’un invité-mystère… jeune retraité du réseau des missions locales.

David : réduire l’échelle des rémunérations…

« Un doute me taraude. N’étant pas concerné directement par le sujet, je ne me suis pas intéressé de près aux ripostes politico-médiatiques faites aux nombreux scandales (et encore, partie émergée d’un iceberg que l’on peut imaginer conséquent…) des super rémunérations des dirigeants des grandes entreprises. J’ai cru entendre ou lire que les entreprises aidées par l’Etat devraient adopter des comportements plus respectables, à tout le moins respectueux de celles et ceux qui produisent, dans ce domaine. J’imagine, mais peut-être me trompe-je, que les aides de l’Etat considérées ne seraient que les aides exceptionnelles mobilisées dans la période de crise actuelle pour sauver les meubles précieux. Ne pourrait-on pas souhaiter que ce soit l’ensemble des aides aux entreprises, y compris les très nombreuses et coûteuses aides à l’emploi, qui soient à considérer pour exiger une répartition beaucoup plus équilibrée des fruits de l’entreprise entre ses dirigeants et ses salariés ? Avec, par exemple, un ratio de 1 à 6 (pour ne pas être trop révolutionnaire…) entre les plus basses rémunérations et les plus élevées, à ne pas dépasser pour prétendre à ces aides. C’est sûrement très naïf mais, puisqu’il s’agit de « refonder le capitalisme » (de l’aveu même de notre très cher président, ami des fortunés), un tel modèle présenterait de nombreux avantages :

1. une plus grande transparence dans et hors les entreprises sur la répartition des richesses produites,

2. inciter davantage les dirigeants à mieux considérer le traitement de leurs salariés par une forme de solidarité, au contraire des systèmes d’aide à l’emploi actuels qui tendent à maintenir les rémunérations sous certains seuils,

3. rationaliser le budget des aides à l’emploi, assez faramineux, préoccupation qui ne peut que soucier un Etat pour le moins impécunieux…

…etc.

De quoi sauver les entreprises en même temps que l’on construit une vraie place aux jeunes ! »

Bienvenue chez les riches…

Tout d’abord, il faut dire que David est probablement un aussi bon directeur de mission locale qu’un piètre connaisseur de l’échelle des salaires. Selon Le Monde Économie du 1er mai 2007 (« Échelle des salaires : entre cupidité et déraison »), « Outre-Atlantique, l’écart de rémunération entre un PDG de grande société et un salarié moyen, qui était de 42 en 1980, a été multiplié par plus de 10 entre-temps. », soit un rapport de 1 à 420… et l’on ne parle que d’un « salarié moyen ». Bien, mais restons de ce côté de l’Atlantique, en Suisse par exemple où le PDG du groupe pharmaceutique Novartis gagne 806 fois plus qu’un de ses employés. Soit deux vies entières de travail au SMIC pour l’employé équivalentes à un mois du PDG. En France et selon l’Observatoire des inégalités qui s’appuie sur l’INSEE (http://www.inegalites.fr/spip.php?article1011&id_mot=78, 25 mars 2009), « Les salaires des dirigeants d’entreprise ont augmenté de 28 % entre 1998 et 2006, inflation prise en compte. » Le revenu annuel du footballeur Thierry Henry est de 17,7 millions d’euros, soit 1475 années de SMIC… tous comptes faits modeste comparativement à celui de l’acteur Dany Boon avec 26 millions d’euros, soit 1640 années de SMIC… Bienvenue chez les riches !

Grande échelle de pompiers…

Le 8 avril dernier, lors d’une audition à l’Assemblée nationale, Colette Neuville qui est la présidente de l’Association des actionnaires minoritaires (Adam) a prôné « une échelle de rémunérations propre à chaque entreprise … avec un ordre de grandeur de un à vingt ou à vingt-cinq ». On est donc déjà loin, en termes de pieuses intentions, de l’échelle proposée par David. Mais, dès lors qu’on en vient aux faits, à la réalité, cette échelle devient la très grande, celle des pompiers pour les monuments de type Tour Eiffel. Rappelons enfin que les yeux brillent dès lors qu’ils fixent les sommets mais que ceux-ci n’existent qu’en relation avec une base : vingt des vingt-sept pays de l’Union européenne disposent d’un salaire minimum analogue au SMIC et, contrairement à une idée reçue, le salaire minimum français n’est pas le plus élevé mais moins important que ses équivalents belge, néerlandais, anglais ou encore irlandais. La France présente en revanche un profil très particulier parmi tous les pays qui disposent d’un SMIC : avec 17 % de salariés qui le touchent, elle est de très loin, le pays où la proportion des salariés payés au salaire minimum est la plus élevée. Outre-Manche, par exemple, seuls 3% des salariés sont dans cette situation. Selon l’excellente question d’Alain Lipietz dans La société en sablier (1996, La Découverte), pourquoi la « compétitivité » exige-t-elle les coûts salariaux les plus bas mais s’accommode-t-elle des coûts patronaux les plus élevés ?

Peine capitale…

De tout cela et de bien d’autres choses, à taire pour éviter le reproche propagandiste, on en conclura que le « modèle » de David est loin, loin… face à un Goliath dont la « refonte », on peut en être certain, saura (ab)user d’une rhétorique convenue (« transparence », « gouvernance », etc.) et d’un épandage éthique. Pour qui a regardé Théma sur Arte hier soir, consacré à la crise, la question est désormais « Aurons-nous le temps d’éviter le pire ? ». En attendant, on peut légiférer et, à ce propos, Jean Baudrillard écrivait dans Cool Memories IV (2000, Galilée, p. 58) « Une proposition de loi : tous les spéculateurs dont les malversations dépasseront le gain d’un travailleur moyen durant toute sa vie de travail sera condamné à la peine capitale. » Par humanité, la peine capitale sera commuée en travaux forcés à vie. Gratuitement. Dans des entreprises. Puisqu’il faut les sauver.