Jean-Christophe reprend la parole et apporte des précisions à partir de l’article « Du métier en mission locale » et de sa contribution qui se concluait par « ce métier flou a besoin d’une redéfinition. » A sa suite, j’apporte ma pierre à l’édifice.
Jean-Christophe…
« Les « métiers flous » sont une référence à l’ouvrage de Gilles Jeannot (1) à partir duquel on peut dire que le métier de CISP est flou : une, l’hétérogénéité des expériences et qualifications ; deux, les représentations subjectives pour chaque CISP de l’accompagnement personnalisé ; et trois, les situations non identiques des jeunes.
Je pense que qu’il faut penser et classer (cf. le romancier George Pérec – 2) ce métier de l’insertion, en s’attachant à modéliser un modèle professionnel relationnel avec les jeunes.
Le flou provient selon moi parce que le métier de conseiller mission locale a été créé suite à l’échec de mises à disposition et de l’institution métasecteur (cf. Guérin-Plantin – 3) Ce dispositif n’a pas été pensé un profil-type mais pour une multitude d’individus aux cultures professionnelles éloignées. (4)
Selon moi l’approche globale n’existe pas car 90% du travail des conseillers se résument à l’insertion professionnelle par des positionnements sur des formations, des contrats, des remises à niveau ou des ateliers recherche d’emploi. L’insertion sociale constitue une part peu importante au travers du montage de dossiers FAJ ou FIPJ. Bien sûr l’insertion sociale au sens large peut intégrer le travail normatif censé rendre les jeunes plus employables : autonomie, responsabilité et assiduité. » (5)
P.L.: Pierres à l’édifice…
(1) Octares Éditions, 2005
(2) Georges Pérec ne fût pas qu’un cruciverbiste renommé. Son ouvrage, Penser-Classer (1985, Hachette) est connu de celles et ceux qui animent ou ont animé des ateliers d’écriture.
(3) Chantal Guérin-Plantin, Genèses de l’insertion. L’action publique indéfinie, 1999, Dunod. S’agissant des personnels des missions locales et PAIO, l’auteure parle de « travailleurs dissemblables » et d’« un ensemble socialement hétérogène » (pp. 180-181)… mais cette appréciation s’appuie sur une enquête datant de 1990.
(4) Je ne suis pas certain que l’on soit face à tant de « cultures éloignées ». Par contre, on est certainement face à une diversité de parcours scolaires et professionnels. « On est »… ou « on était » au regard des plus récents recrutements qui privilégient le bagage universitaire (un master pour pouvoir s’engager dans un contrat de professionnalisation CIP…) ? Cette diversité est d’ailleurs, généralement, mise en avant comme une « richesse » par les principaux intéressés et cela s’inscrit dans la genèse des missions locales avec les mises à disposition, la logique d’« inter » ou de « transdisciplinarité ». Je pense cependant qu’existe (ou préexiste) une culture plus ou moins consciente qui, dès lors que l’on interroge les conseillers-ères, permet de construire un paradigme des représentations professionnelles très inspiré de l’éducation populaire.
Face aux « nouveaux » – cela devient relatif – métiers (ou doit-on dire « emplois » ?) de l’insertion, certains auteurs, par exemple Gérard Mauger, sortent la kalachnikov bourdieusienne comme c’est le cas avec l’article déjà cité sur ce blog « Les politiques d’insertion. Une contribution paradoxale à la déstabilisation du marché du travail » (Actes de la recherche en sciences sociales, « Nouvelles formes d’encadrement », mars 2001), lui-même inspiré de l’article de Pierre Bourdieu dans la même revue, « Classement, déclassement, reclassement » (« Le déclassement », novembre 1978). Cette thèse est très largement reprise, ainsi qu’en témoigne cet extrait du « Rapport de recherche » n° 28 d’octobre 2005 du Centre d’études de l’emploi, Dans une zone urbaine sensible : les acteurs de l’éducation et de l’insertion des jeunes « en difficulté » (Michel Destefanis, Élizabeth Dugue, Catherine Mathey-Pierre, Barbara Rist) : « Mais les politiques d’insertion s’appuient aussi sur de nouveaux acteurs institutionnels et de nouvelles structures (telles que les Missions locales ou bien encore les entreprises intermédiaires ou les organismes de formation) qui échappent aux régulations organisant le champ professionnel du travail social. Leur multiplication constitue « un gisement d’emplois sociaux ». Les emplois mal définis qu’elles proposent – formateur-jeune, animateur de stage, coordonnateur, chargé d’accueil – ont permis à de nouveaux intervenants de valoriser soit des études universitaires générales, soit un parcours militant, soit enfin des dispositions acquises par imprégnation familiale ou de quartier. L’insertion des exclus du système scolaire – tels sont en effet, on le verra, les publics des dispositifs d’insertion destinés aux jeunes – apparaît ainsi pour partie prise en charge par les « relégués du système universitaire ». Ces nouveaux professionnels n’ont pas été soumis aux mêmes processus de socialisation ni aux mêmes modalités de professionnalisation que les travailleurs sociaux. Ils échappent partiellement à l’ensemble d’orientations, d’influences et d’incitations auxquelles ceux-ci sont soumis… » (p. 9).
D’autres auteurs mettent en cause l’insertion comme « une bifurcation du social » (p. 200), comme « un Cheval de Troie {du travail social}» (p. 156), comme une « sorte de sentinelle qui stigmatise les politiques anciennes du social en chaussant les thèmes de la critique récurrente de l’assistance » p. 157), comme un nouveau social dont le ressort ou l’effet serait que « les idéaux du marché se substituent peu à peu à ceux du service social depuis toujours centré sur la personne » (p. 207), etc. (Michel Autès, Les paradoxes du travail social, 1999, Dunod).
Sans doute, dans tout cela et dans bien d’autres analyses critiques (Denis Castra et son « handicapologie », Lionel Chaty à partir de l’article de Michel Callon, etc.) y a-t-il du vrai, les intervenants sociaux, comme d’ailleurs les travailleurs sociaux, étant en position nodale et de tension entre deux thèmes antithétiques, l’émancipation et le contrôle (Michel Foucault…). Reste que, si les représentations du ou des métiers de l’insertion ont sans aucun doute des périmètres élastiques – le qualificatif de « flou » me convient tout compte fait assez bien –, néanmoins, agrégées, ces représentations sont cohérentes entre elles. Cette plasticité, ce flou, cette incertitude devraient, selon moi, justifier un effort important, énergique, de recherche-développement, de construction d’un corpus théorique de savoirs professionnels, etc. Hormis la formation nationale prioritaire « Culture commune » et l’effort louable de l’ANDML pour porter cette dynamique de réflexion et de réflexivité, les faits, c’est-à-dire la mobilisation de la branche professionnelle, il faut le reconnaître, ne me donnent guère raison… La R&D, c’est bon chez Danone pour apprécier l’opportunité d’inclure plutôt des mirabelles que des cerises dans un yaourt. Précisons que la crainte de voir l’insertion se constituer comme une sphère particulière qui correspondrait à « l’institutionnalisation d’une main d’œuvre de seconde zone, d’un sous-prolétariat au sens propre du terme » (Luc Boltanski, « Misère de la (mauvaise) philosophie sociale », Le Monde, 7 février 1995) conduit certains, comme Chantal Guérin-Plantin, à réfuter l’intérêt d’un tel corpus pour ce qu’elle appelle des « communautés locales de travail » ou « communautés professionnelles locales », dont on voit bien par ces expressions que leur intérêt résiderait principalement dans leur non-formalisation. Mais ceci a été écrit en 1999… avant qu’existe une convention collective nationale et, surtout, à une période où l’insertion pouvait encore être considérée comme ne concernant qu’une frange des populations jeunes, grosso modo les recalés du système de formation initiale. Dix ans plus tard, l’insertion, sans être devenue « une sphère bouclée sur elle-même » (Genèses de l’insertion… p. 216), n’a-t-elle pas déplacé les lignes de son périmètre jusqu’à (presque) se confondre pour la majorité des jeunes à une phase de transition entre jeunesse et adultéité ? Dans ce cas, l’insertion se rapprocherait de la socialisation secondaire. C’est à débattre… et j’imagine immédiatement la réfutation sur le thème de « tous insérés à perpétuité ! »
(5) Sur « l’approche globale qui n’existe pas », il me semble plus judicieux de laisser d’autres acteurs prendre la parole : vrai ou faux ? L’approche globale serait-elle une sorte de grand mythe unificateur, un imaginaire peut-être utile mais sans fondement réel ?
A vos claviers!