Marché de l’emploi : rude perspective.

Publié: septembre 15, 2008 dans Au gré des lectures

Renversement de tendance…

Selon L’Expansion (lexpansion.com) du 11 septembre,  » Pour la première fois depuis 2004, l’emploi salarié a reculé, de 0,1%, au deuxième trimestre avec la suppression de près de 20.000 postes. Les intérimaires sont les plus touchés.  » Le lendemain, 12 septembre, Le Monde titre  » La contraction de l’activité a des répercussions immédiates sur l’emploi « .

Ainsi le retournement du marché du travail se confirme car, si le chômage stagne à 7,2%, l’économie française détruit désormais plus d’emplois qu’elle n’en crée. Pour la première fois depuis début 2004, l’emploi salarié a baissé de 0,1% (-19 100 postes) au deuxième trimestre, après avoir augmenté de 0,3% (+ 61 100) au premier, selon des chiffres définitifs publiés également le 11 septembre par l’Insee (INSEE Conjoncture, « Informations rapides » n° 243). Une tendance également observée par le régime d’assurance-chômage, qui a fait état d’ « un renversement de tendance au deuxième trimestre 2008 avec 35 000 pertes nettes d’emplois. » Sur un an, la progression de l’emploi a du coup été ramenée à 1%. Dans Le Monde du 12 septembre, Bernard Ernst, directeur des études et des statistiques à l’assurance-chômage, déclare que « l’objectif {de 120 000 créations nettes d’emplois} est inaccessible. » Tiens, pas d’obligation de résultat à l’Unedic ?

L’emploi intérimaire s’effondre…

Cette première baisse s’explique principalement par la forte chute de l’intérim, qui a supprimé 48 500 postes au deuxième trimestre contre une création de 12 100 au premier. Variable d’ajustement des employeurs, l’emploi intérimaire a subi de plein fouet la contraction de l’activité économique et, comme le rappelle Nicolas Bouzou, économiste chez Asterès, le déclin de l’intérim « préfigure un recul de l’emploi non intérimaire ». L’intérim, voie de la liberté et, désormais, de l’emploi durable (cf. « Missions locales : elles ne peuvent pas ne pas communiquer »)… réellement ? (1)

Les effectifs dans les services ont connu le plus fort repli depuis le début des années 1990 (-18 300 postes), sous l’effet de l’intérim, qui est comptabilisé dans le tertiaire même s’il s’agit de missions dans le BTP ou l’industrie. Dans l’industrie, l’hémorragie d’emplois, continue depuis 2001, s’est poursuivie. Le secteur a supprimé 14 800 postes. Seule la construction a créé des emplois au deuxième trimestre (+ 4 400 postes) mais à un rythme beaucoup moins soutenu qu’auparavant du fait de la dégradation de l’activité immobilière (2).

Christine Lagarde amnésique donc pas surprise…

Ces chiffres n’ont pourtant pas inquiété outre mesure Christine Lagarde, sereine. Invitée jeudi matin sur France Inter, la ministre de l’économie s’est déclarée jeudi « pas surprise » alors même qu’elle avait longtemps tablé sur un maintien, voire une amélioration, de l’emploi salarié cette année. Après tout, ce qui est dit est si vite oublié… Christine Lagarde a fait valoir que le chômage était resté au même taux qu’au premier trimestre (7,2% de la population active) et au plus bas niveau depuis 1983. Que l’emploi salarié diminue alors que le chômage demeure stable ne semble pas être un sujet d’étonnement : les actifs inoccupés ne progressent pas alors que les actifs occupés diminuent… le différentiel est invisible, sans doute dans les limbes statistiques et les plis des classifications administratives des catégories autres que 1 et 6. Illusionnisme social.

Un, deux, trois experts…

Pour l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques, de Sciences Po), la « performance » – toute relative – de ce chômage stable  risque très probablement de prendre fin : le retournement de l’emploi « va se voir sur le chômage avec un petit décalage ». Alors qu’il baissait depuis début 2006, il « devrait remonter », compromettant l’objectif du gouvernement d’un taux de 5% en 2012. Le jeu des prévisions est donc ouvert entre économistes. Certains, comme Nicolas Bouzou d’Asterès, estime que « le taux de chômage français devrait friser les 8% en fin d’année ». D’autres, comme Pierre-Olivier Beffy d’Exane-BNP Paribas, considère que la remontée « pourrait être plus lente car la population active progresse désormais à un rythme plus modéré. » On connaît l’adage : « Un expert, c’est l’affirmation. Deux experts, c’est la contradiction. Trois experts, c’est la confusion. » Ce dont on peut être quasi-assuré c’est que les jeunes, également variables d’ajustement, se préparent des jours difficiles. Et par voie de conséquence les conseillers des missions locales car tout ceci n’empêchera pas l’injonction de l’obligation de résultat.  Mais, après tout, les uns comme les autres ont pris l’habitude.

A découvrir, discuter, partager…

Dans l’excellente revue mensuelle de septembre Partage (3), une synthèse intéressante d’une étude du CREDOC signée par Régis Bigot, « Les conditions de vie en France depuis 25 ans ». On y lit qu’en un quart de siècle « les hauts revenus sont les seuls à percevoir une amélioration de leur niveau de vie » (comme quoi le bouclier fiscal génère de la gratitude), que les classes moyennes partent de moins en moins en vacances (52% aujourd’hui contre 62% en 1998), que « les bas revenus déclarent de plus en plus souffrir d’un état dépressif » et que « la situation des bas revenus semble s’être détériorée depuis 25 ans : le chômage de longue durée, notamment, y est plus prégnant ; les emplois occupés sont plus précaires ; l’impression que son niveau de vie s’est dégradée est très forte ; être propriétaire de son logement est de moins en moins fréquent ; même l’état de santé semble plus fragile. » Tout cela rappelle étrangement ce qu’écrit Louis Chauvel dans Les classes moyennes à la dérive ( 2006, « La République des Idées », Seuil) : « Les classes moyennes sont un peu comme un sucre dressé au fond d’une tasse : si la partie supérieure semble toujours intacte, l’érosion continue de la partie immergée la promet à une déliquescence prochaine et inéluctable. Si les catégories populaires ne vont pas bien en France, elles pourraient se sentir moins seules dans quelques années. » Effectivement, les catégories populaires ne vont pas bien. Mais elles sont accoutumées. Comme l’écrivait Alain Lipietz dans La société en sablier (1996, La Découverte) la « compétitivité » exige des coûts salariaux toujours plus bas alors qu’elle s’accommode de coûts patronaux toujours plus élevés. Cela est donc dans l’ordre des choses et, tout compte fait, le principal est que la piscine du copain à Porto Vecchio soit purifiée.

 

(1) « Je suis libre d’organiser mon temps comme je veux » est une des phrases en exergue de monographies qui promeuvent l’intérim dans un luxueux ouvrage de VediorBis, Parcours d’intérimaires, paru chez Textuel en 2000. Tout au long des 128 pages, on découvre des portraits d’intérimaires qui construisent un imaginaire collectif… assez éloigné de ce qu’en disent habituellement d’autres intérimaires (qui ne sont pas en photo dans le livre) : « Ils m’ont dit que c’était facile de trouver un emploi spécialisé, mais surtout que c’était rapide », « je voulais voyager », etc.

(2) Selon la Fédération française du bâtiment, le chiffre d’affaires du secteur du bâtiment pourrait reculer de 5 à 6% cette année (La Tribune, 12 septembre 2008).

(3) On ne peut que recommander Partage. Avec les publications (gratuites et en ligne) de la DARES, du Centre d’Études de l’Emploi et du CEREQ, et Territoires (publication de l’ADELS), cette revue constitue un bagage nécessaire pour tout professionnel de l’insertion. Partage ne se vend pas en kiosque mais on peut s’abonner (6, rue Bertrand-de-Born 24800 Thiviers, tél. 05 53 62 07 51). Son directeur, Maurice Pagat, fût très proche d’un grand sociologue, André Gorz, qui a fait le choix de nous quitter avec son épouse l’année dernière.

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