Qu’est-ce qui fait courir les intérimaires ? 1/3

Publié: septembre 17, 2008 dans Au gré des lectures

Naissance et croissance de l’intérim…

Grosso modo l’intérim est âgé d’un siècle (1905 aux USA et en Angleterre), une soixantaine d’années en France avec la création en 1942 (sous Vichy) de Business Aid. En 1972, une loi réglementait l’intérim et concrétisait les contrats de mission et de mise à disposition. Depuis la loi Borloo de janvier 2005, les ETT (entreprises de travail temporaire) sont considérées – eh oui ! – comme des acteurs du service public de l’emploi (article L. 311-1) : « Peuvent également participer au service public de l’emploi les organismes publics ou privés dont l’objet consiste en la fourniture de services relatifs au placement, à l’insertion, à la formation et à l’accompagnement des demandeurs d’emploi, les organismes liés à l’Etat par une convention prévue à l’article L. 322-4-16, les entreprises de travail temporaire ainsi que les agences de placement privées. »

Lorsqu’on observe la croissance de l’intérim en France, on remarque que, peu de temps après la loi de 1972, on recensait 108 300 ETP par an et que, à partir de 1994, le nombre de missions n’a cessé de croître rapidement jusqu’à atteindre 648 217 ETP en 2006. Alors que le CDI est toujours considéré officiellement comme la norme (jusqu’à quand ? 1), l’intérim a pris une place importante dans le marché du travail, principalement pour les jeunes puisque plus d’un jeune actif sur cinq occupe un emploi temporaire. Qu’on le veuille ou non, l’intérim est ancré dans le paysage. Il est légitime et la politique de l’emploi recourant aux « OPP » (opérateurs privés de placement) ne fait que renforcer cette légitimité. Le temps n’est plus à la contestation radicale des ETT, les années 70… même si, parmi ses grands promoteurs nationaux, il s’en trouve pour exprimer (qui plus est avec fierté) une conception très singulière du dialogue social : « Un samedi matin, vers 10 heures, sans prévenir qui que ce fût, je fis mon entrée dans l’antre de la contestation. Une foule s’y pressait, au milieu de caisses de vin et de sacs de couchage. L’endroit dégageait une odeur puissante. Je me présentai sereinement : « Bonjour. Je suis le patron de Manpower. » Aussitôt, le rideau de fer fut baissé. » C’est, en mai 68 et face aux grévistes, Michaël Grunelius, fondateur de Manpower. Et c’est dans Du travail et des hommes, édité en 2003 chez Perrin. Il n’est pas utile de l’acheter, encore moins de le lire.

FPE…

De façon générale, l’intérim s’inscrit dans la construction continue d’une hybridation des situations d’emploi exprimée sous l’acronyme, pudique parce qu’acronyme, de « FPE » (formes particulières d’emploi). Parmi ces FPE, le temps partiel qui, outre les jeunes, concerne plus particulièrement les femmes. Concerne ? Maltraite plus exactement. Premières lignes de Le temps partiel, un marché de dupes ? (Tania Angeloff, 2000, Syros) : « Que n’a-t-on entendu, depuis des années, sur ce miracle nommé « temps choisi », sur les bienfaits de la « conciliation » entre activité professionnelle et vie familiale, sur la rencontre enchantée de l’offre et de la demande de temps réduit ? Il y avait urgence à démystifier une fable trop jolie pour être honnête : le temps partiel ne s’identifie pas à du temps choisi… » On le verra, il en est de même très largement pour l’intérim… qui est un temps partiel puisque, selon la DARES, la moyenne de temps plein sur une année n’est que de trois mois. Soit le quart d’une année. Le Prisme, qui regroupe plus de six cents agences, avance un autre chiffre, six mois… mais s’agissant d’un organisme en charge de la promotion et du lobbying de l’intérim, on est en droit d’être circonspect. A minima. On le sait, il peut y avoir plus qu’un écart entre la propagande publicitaire et la réalité des faits… toujours têtus et l’on peut avoir en tête ce qu’écrivait Richard Sennett dans Le travail sans qualités (2000, Albin Michel) : « De nos jours, la flexibilité n’est qu’une autre manière d’éviter au capitalisme le reproche d’oppression. En s’en prenant à la rigidité bureaucratique et en mettant l’accent sur le risque, assure-t-on, la flexibilité donne à chacun plus de liberté de façonner sa vie. En réalité, l’ordre nouveau ne se borne pas à abolir les règles du passé : il leur substitue de nouveaux contrôles qui sont cependant difficiles à comprendre. Le nouveau capitalisme est un régime de pouvoir souvent illisible. »

Pourquoi devient-on intérimaire ?

Dominique Glaymann signe dans la revue Partage de septembre un article, résumé d’une recherche conduite à partir d’une analyse des données de différentes sources (DARES, CSA, FPETT, INSEE…) et d’une enquête de terrain dans seize agences intérimaires, « Pourquoi devient-on intérimaire ? » Cette recherche a donné lieu en 2007 à un ouvrage, L’intérim, publié chez La Découverte.

« Pourquoi devient-on intérimaire ? »… est une bonne question à se poser puisque, objectivement, les conditions de cette situation professionnelle présentent nettement plus d’inconvénients que d’avantages. Alors… pourquoi ? L’énoncé de ces inconvénients (le côté cour) par Glaymann constitue une véritable entreprise de démystification du marketing de l’intérim (le côté jardin)… qui n’inquiètera d’ailleurs pas ce secteur : l’article sera assurément moins lu que seront reçus, bon gré mal gré, les impacts publicitaires de la campagne actuelle de Prisme. Mais il interroge également un discours assez commun parmi les intervenants sociaux : l’intérim serait une façon, sans doute pas idéale mais cependant efficace pour certains jeunes, de mettre le pied à l’étrier de l’insertion professionnelle. Si, effectivement, tel est le cas, pour qui et à quelles conditions, l’arbre de la réussite de quelques-uns ne devant pas cacher la forêt de la galère de beaucoup.

On verra dans la prochaine contribution le côté cour de l’intérim, puis son côté jardin, et, disons-le d’emblée quitte à décevoir, on constatera que l’usage de l’intérim dans les parcours d’insertion n’obtient pas de réponse stabilisée, assurée.

A suivre…

(1) « Parallèlement {à l’existence apparemment incompressible d’une population hors travail} on a assisté au gonflement des formes dites « a-typiques » d’emplois à durée limitée (CDD), missions d’intérim, travail à temps partiel. Actuellement plus de 74% des nouveaux contrats de travail passés dans l’année se font sous une de ces formes « a-typiques ». D’où la multiplication des situations caractérisées par des alternances entre deux emplois, la succession de périodes d’activité et d’inactivité surtout pour les jeunes entrant sur le marché du travail. » Robert Castel, « Au-delà du salariat ou en-deçà de l’emploi ? L’institutionnalisation du précariat », (sous la direction de) Serge Paugam, Repenser la solidarité, 2007, PUF, p. 418.

 

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