A l’Assemblée nationale, comme si vous y étiez !

Publié: avril 2, 2009 dans Insertion/missions locales

C’était hier, 1er avril, et c’était les « questions au Gouvernement » sur le thème de – oui – les missions locales. Décidément, avec la crise, les missions locales obtiennent une visibilité qu’une coûteuse campagne de communication n’aurait pu rêver… Rappelons que Bernard Perrut est le nouveau président du CNML.

M. le président. « La parole est à M. Bernard Perrut, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire. »

M. Bernard Perrut. « Ma question s’adresse à M. Laurent Wauquiez, secrétaire d’État chargé de l’emploi. »

« Encore ! » sur les bancs du groupe Gauche démocrate et républicaine.

M. Bernard Perrut. « Face à la crise économique et au chômage, vous exprimez chaque jour, monsieur le secrétaire d’État, les engagements forts du Premier ministre et du Gouvernement : développement des services à la personne, soutien aux seniors, allocation de chômage après quatre mois de travail, prime pour les salariés précaires, moyens humains supplémentaires dont vont bénéficier aussi les agences du Pôle emploi sur le terrain… »

M. Michel Lefait. « Il répète la même leçon ! »

M. Bernard Perrut. « Conscient de la gravité du chômage qui frappe de plus en plus les jeunes, diplômés ou non, qualifiés ou non, vous avez, monsieur le secrétaire d’Etat, il y a quelques jours à Bercy, mobilisé les acteurs de l’accompagnement et de l’insertion professionnelle des jeunes. M. Martin Hirsch s’est également exprimé avec détermination. Monsieur le secrétaire d’État, comment entendez-vous rendre plus efficaces tous les dispositifs existants, des contrats d’apprentissage et de professionnalisation aux contrats CIVIS et contrats aidés ? Comment mieux mobiliser les entreprises et branches professionnelles à fort potentiel, mieux former aux métiers porteurs et développer les chantiers d’insertion dans nos communes où, en tant que maires, nous devons tous nous mobiliser ? Nous savons qu’il faut nous adapter aux problèmes spécifiques de chaque territoire, favoriser la mobilité, apporter des réponses aux jeunes, qui sont de plus en plus nombreux à nous interpeller.

Dans cet esprit, quel bilan tirez-vous de l’action menée jusqu’à présent par les 480 missions locales implantées sur le territoire ? Quelles priorités sont les vôtres pour rendre espoir aux jeunes confrontés à l’échec, et faire davantage pour eux, selon la volonté exprimée par le Président de la République il y a quelques jours dans son discours de Saint-Quentin ? »

Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.

M. le président. « La parole est à M. Laurent Wauquiez, secrétaire d’État chargé de l’emploi. »

M. Patrick Roy. « De la faillite et du chômage ! »

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d’État chargé de l’emploi. « Monsieur Bernard Perrut, je souhaite d’abord, comme j’ai eu l’occasion de le faire en installant avec vous le Conseil national des missions locales… »

M. Maxime Gremetz. « Ah, voilà ! »

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d’État. « …souligner l’attachement du Gouvernement au rôle que jouent les missions locales. Les professionnels qui les animent essayent, sur le terrain, d’accompagner les jeunes, comme c’est le cas dans la mission locale de votre ville de Villefranche, et dans cette période de crise, nous avons besoin d’eux. » (PL. Ce qui, hypothético-déductivement, signifierait qu’en période de non-crise, on n’aurait pas besoin des missions locales ?)

« Ne nous cachons pas la réalité : dans cette crise, les premières victimes sont les jeunes, et c’est d’abord sur eux qu’il faut cibler nos mesures. En effet, ils n’arrivent plus à entrer sur le marché de l’emploi, où les offres se sont raréfiées. Une fois leur diplôme obtenu, ils risquent donc de se heurter à un plafond de verre, sans pouvoir acquérir une expérience professionnelle. »

M. Alain Néri. « Vous en avez mis du temps pour le comprendre ! »

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d’État. « Pour les jeunes, l’heure est à l’urgence et il nous faut agir très rapidement pour l’emploi. Pour cela, il faut non pas inventer de nouvelles usines à gaz, mais s’appuyer sur les dispositifs qui ont fait leurs preuves. Il y en a trois. Il s’agit d’abord des contrats d’alternance et de professionnalisation. Huit jeunes sur dix qui s’engagent dans cette voie trouvent un emploi durable en moins d’un an. Il faut notamment cibler les filières qui continuent à recruter et dynamiser ces outils. Ensuite, il faut abattre des barrières très concrètes à l’emploi des jeunes – ce que j’appelle retirer les cailloux des chaussures – s’agissant de la mobilité, du logement, de l’illettrisme, questions sur lesquelles nos dispositifs sont trop administratifs, lourds, insuffisamment adaptés aux réalités de terrain. Dans ce domaine, nous avons déjà augmenté les crédits mis à disposition des missions locales de l’emploi, mais cela ne suffit pas, il faudra aller au-delà. »

Plusieurs députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine. « Donnez-leur les moyens ! »

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d’État. « Il s’agit enfin du dispositif anti-décrochage : dans notre pays, trop de jeunes quittent le système scolaire sans que l’éducation nationale ait plus rien à leur offrir. Ni usines à gaz ni dispositifs utopiques donc, mais des mesures immédiatement opérationnelles, voilà comment nous voulons aider nos jeunes. »

Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.

Commentaires…

Même s’il en coûte, on ne fera pas de mauvais esprit, la gravité de la situation pour les jeunes invitant à l’engagement. Toutefois notons que, une fois de plus, « l’heure est à l’urgence » comme si cette urgence ne datait pas, comme si tous les signaux d’alerte ne clignotaient pas depuis des lustres, s’exprimant épisodiquement en révoltes de banlieue et de façon permanente en déclassement, piétinement devant le marché du travail, « deuil des aspirations »… Enfin, quelques mots sur les trois « dispositifs qui ont fait leurs preuves ».

L’alternance.

Elle était au cœur du rapport de Bertrand Schwartz en 1981, celui-ci l’ayant d’ailleurs largement promue auparavant avec le thème de la « formation permanente » issu de la longue expérience de l’éducation populaire. Cependant qu’exige l’alternance pour correctement fonctionner ? Une triade avec, régulièrement, des rencontres entre le stagiaire, le tuteur d’entreprise et le formateur. Cette fréquence et cette régularité, garante d’une véritable progression et donc d’une stabilité du jeune dans l’emploi, ne peuvent être atteintes qu’à la condition qu’elles soient organisées, suivies, enregistrées (y compris dans une perspective de formation professionnelle tout au long de la vie qui valide en cours de trajectoire les compétences acquises, des actifs de l’expérience accumulée). Les conseillers de mission locale ont-ils aujourd’hui les moyens pour garantir ce suivi ? Non. Dès lors qu’on comptabilise par conseiller 200 ou plus « dossiers actifs » dont n CIVIS, n PPAE, etc. le travail d’accompagnement se vide de son sens et, si à tort cette professionnalité est le cadet des soucis des institutions, il se vide également de son efficacité.

« Retirer les cailloux des chaussures ».

Le secrétaire d’État n’est décidemment pas à court de jolies métaphores, lui qui avait lancé le concept de « gargouzette » (cf. « Pas de gargouzettes pour Laurent Wauquiez » sur ce blog, 1er octobre 2008) putativement appelé à une célébrité comparable à celle du « pshitt » ou de « l’abracadabracantesque » (emprunté à Rimbaud) du président J.C.  Notons que le caillou dans la chaussure c’est étymologiquement scrupulus, « ce qui gêne, embarras » qui a donné « scrupule ». Les cailloux que Laurent Wauquiez voudrait extraire – mobilité, logement, illettrisme, etc. –recouvrent ce qui, avec le volet professionnel et formatif, constitue l’approche globale. On ne peut donc que s’en féliciter et, la volonté d’un secrétaire d’État devant être respectueusement déclinée par son administration, s’attendre à ce qu’enfin les missions locales soient évaluées tout autant sur leur capacité d’insérer professionnellement les jeunes que sur celle de résoudre tous ces problèmes sociaux considérés à tort comme périphériques, des coquetteries de travailleurs sociaux, alors qu’ils sont indissociables d’une dynamique d’autonomie : « Ainsi considérons-nous comme grave et dangereux le risque qu’on encourrait à ne prendre en considération que les mesures touchant à la formation et à l’emploi parce qu’elles apparaîtraient suffisantes pour régler les problèmes les plus visibles. » (B. Schwartz, L’insertion professionnelle et sociale des jeunes, 1981, p. 33). Une citation à afficher dans chaque bureau de conseiller. Enfin, ce que j’en dis…

Dispositif anti-décrochage.

Ici et avec le décrochage scolaire, le secrétaire d’État voit juste. C’est d’ailleurs la première des trois missions que Christine Lagarde avait demandées au CNML le 7 janvier 2008 et qui a donné lieu à un rapport venant d’être publié (1). Reconnaissons chemin faisant que ce problème, avant d’être traité curativement par les missions locales, devrait l’être préventivement par le système de formation initiale. Là également, rien de nouveau sous le soleil… et encore lui : « Le problème scolaire, qu’il n’est pas de notre rôle de traiter, pèse aujourd’hui d’un poids que tout le monde s’accorde à reconnaître comme lourd : si ce poids n’était pas rapidement allégé, il serait même à redouter que nos propositions elles-mêmes en soient affaiblies, tant pour leur efficacité que pour leur crédibilité. » (B. Schwartz, L’insertion professionnelle et sociale des jeunes, 1981, p. 32). Nous sommes donc d’accord et oui, parmi les expertises points de passage obligé dans toute mission locale, la thématique du décrochage scolaire devrait être absolument présente (comme les politiques transversales – égalité hommes-femmes, discriminations -, comme la formation professionnelle tout au long de la vie…). Cependant, dès lors qu’il s’agit de faire vite – l’urgence – n’est-on pas là face à une contradiction car traiter du décrochage scolaire est de toute évidence un travail de longue haleine. De plus, on peut s’interroger sur la capacité du réseau aujourd’hui de proposer à ses structures et professionnels les bases d’une réflexion et d’une stratégie communes à décliner, avec les adaptations nécessaires liées aux contextes, sur les territoires. Il est vrai que les missions locales seraient un « opérateur » : un opérateur opère ; il ne réfléchit pas. Lorsque, au hasard des dépêches et lisant ce jour que « L’innovation n’est pas un luxe mais un besoin et un risque », selon François Guinot de l’Académie des technologies au colloque Futuris qui vient de se tenir (2), je constate l’indigence de ce qui est consacré à la recherche-développement dans le secteur des missions locales et que, au hasard d’autres lectures, j’apprends que des chercheurs sont mobilisés pour des crèmes anti-rides ou des (sic) « nutrialiments », la tentation est forte de se passer en boucle « Il n’y a plus rien » de Léo Ferré. Avec une boisson vernaculaire. Un chouchen (3).

 

(1) CNML, Une nouvelle coopération entre le réseau des missions locales et Pôle Emploi, mars 2009. Une analyse sera proposée sous peu.

(2) AEF, Dépêche n°111882, 1er avril 2009.

(2) Chouchen : à peu de choses près, la version celte de l’hydromel. L’histoire dit que l’abus de chouchen fait perdre l’équilibre (normal) mais systématiquement en arrière. D’où la coiffure des Bretons avec des cheveux longs sur la nuque (blev-hir en breton : « cheveux longs » ; prononcer bléouir). Il n’y a pas que Laurent Wauquiez pour trouver des expressions originales !

commentaires
  1. rbeaune dit :

    Un commentaire sur l’alternance…
    Cela fait 7 ans qu’on a mis en place un dispositif pour pallier aux insuffisances connues et reconnues du triade jeune, tuteur en entreprise et formateur…
    Alors tout jeune (eh oui et ce n’est pas un poisson d’avril) directeur de ML, je m’étais étonné d’un match de ping pong entre la profession des hôteliers- restaurateurs : « vous ne nous envoyez aucun jeune » et des acteurs de l’orientation (dont la ML) : « vous ne gardez aucun jeune »…
    En dénichant les chiffres de l’apprentissage dans ce secteur (si important sur le territoire), j’avais pu calculer que près d’un contrat sur deux était rompu… et que personne ne pouvait dire ce qu’il était advenu des jeunes…
    Fort de constat partagé avec les professionnels, la CCI, le CFA et la ML, on a mis en place une action de médiation qui a un double objectif : réduire le taux d’abandon du secteur par les jeunes (et non pas seulement le taux de rupture des contrats, en clair favoriser une rupture dans certains cas pour permettre la signature d’un contrat qui va à son terme) et le nombre de jeunes laissés sans accompagnement à l’issue de l’échec de leur -très souvent- première expérience dans le monde du travail… Sur ces deux objectifs, on connaît des avancées très fortes : le taux d’abandon a été réduit à 14% en 2007-2008 et le nombre de jeunes sans accompagnement est proche de 0.
    Cela prouve que la triade prévue n’est pas assez opérationnelle et qu’un 4ème acteur s’impose qui est réactif et neutre et qui connaît bien son territoire et les entreprises…
    Ce n’est plus une action innovante (un sociologue l’a qualifiée d’ingéniérie de la rupture…), mais cela pourrait redevenir une action expérimentale…

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