Maisons de l’emploi : machine à café, pousse-pousse, coucou, aubaine et myopie.

Publié: janvier 13, 2009 dans 1

Le (très informé) site Emploi et Création (http://www.emploietcreation.info/), animé depuis 2005 par Benoît Willot chargé de mission au Centre national de l’entrepreneuriat du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) est pour une large partie consacré aux maisons de l’emploi. Fin décembre 2008, pas moins de douze articles y étaient classés sous la rubrique « Gel des maisons de l’emploi », le dernier datant du 26 décembre 2008 et évoquant Michel Terrot, député UMP de l’Orne, qui considérait que « compte tenu des efforts et de l’investissement fournis, les acteurs locaux sont dans une attente forte de l’aboutissement de ce dossier et s’inquiètent de la position du Gouvernement quant à l’avenir du dispositif, inquiétude renforcée au regard du projet de fusion de l’ANPE et des ASSEDIC. ».

Haut-Rhin… Enterrement de seconde classe.

Le 19 novembre 2008, un article titrait «  Maisons de l’emploi : pas de labellisation supplémentaire » : « Le secrétaire d’État à l’emploi passe beaucoup de temps à dire qu’il ne sait rien sur ce qui se passe dans les maisons de l’emploi comme dans les missions locales d’ailleurs. Il vient d’inaugurer, à Saverne (Haut-Rhin) et Lambersart (Nord) deux maisons de l’emploi, mais il semble ne toujours pas en savoir plus. Dans un entretien à l’AEF (13/11/2008), Laurent Wauquiez déclare que « l’État honorera ses engagements financiers pour les maisons de l’Emploi labellisées, car ce sont de bons outils. Mais comme il n’est pas question de jeter l’argent par les fenêtres, je veux que soit évalué chaque dispositif, chaque outil ». Benoît Willot ajoute « Je me demande si l’argent jeté par les fenêtres, ce n’est pas précisément celui qui a été utilisé pour les multiples évaluations que le ministre n’a pas lues… Concernant l’avenir du dispositif, c’est à un enterrement de seconde classe qu’il est promis : « Je ne referai pas de labellisation supplémentaire, pour ne pas avoir de dédoublement partout » faisant allusion, selon l’AEF, au risque de doublon avec les agences du service public de l’emploi unifié, Pôle Emploi. »

Vannes… Financement retiré.

Sous le titre « Vannes : arrêt du financement d’État fin 2009 ? », Emploi et Création rappelle le 10 janvier 2009 que « Portée par le GIP du Pays de Vannes, la maison de l’emploi du Pays de Vannes (Morbihan) a été labellisée au titre du plan de cohésion sociale en été 2005, avant la création de l’association fin 2005. Cette MdE ne reçoit pas le public en direct, mais dispose de Points d’accueil emploi (PAE), structures de proximité pour les demandeurs d’emploi et d’un site Internet, créé en 2007. En 2009, elle devrait mettre l’accent sur les métiers qui recrutent. La structure est financée par le Conseil général du Morbihan, les sept établissements publics de coopération intercommunale du Pays et l’État. Malgré de nombreuses activités développées, le quotidien régional Le Télégramme a indiqué le 23 décembre 2008  que « à partir de la fin de l’année 2009, l’État retirera son financement ».

Plus portées politiquement…

Consulté téléphoniquement il y a quelques jours, un de mes interlocuteurs à la DARES, sur un poste de responsabilité, me disait : « Mis à part AVE {Alliance Villes Emploi}, personne ne porte plus les maisons de l’emploi au ministère. C’est, y compris pour nous, l’incertitude totale. Ce qui est certain c’est que ce projet n’est plus porté politiquement, voire quasi-abandonné. »

De facto, entre l’échéance de la fin de l’aide financière de l’État pour les premières maisons de l’emploi labellisées et conventionnées, ceci signifiant que la charge financière pèsera sur les collectivités, et – malgré les trois plaidoyers pro domo (1) qu’ont été les rapports Dalloz, Boulanger et Anciaux – la question de la place des maisons de l’emploi sur les territoires est loin d’être réglée… même si ces structures sont inscrites dans la loi. On ne gouverne donc pas par décret et pas si facilement « à distance » (2)… a fortiori en plaidant pour une approche territorialisée où la collectivité occupe le leadership. Et l’on ne peut s’empêcher de songer que la stratégie de l’État, particulièrement au niveau local puisque le niveau national apporte peu d’éclaircissements, est de s’assurer que les maisons de l’emploi seront prises en charge par les collectivités… ce qui serait une façon de boucler le dossier MdE à l’heure où la politique de l’emploi est quasi-exclusivement occupée par l’installation de Pôle Emploi.

Lillebonne…

Chaque jour apporte son lot d’incertitudes sur le thème du gel des maisons de l’emploi… Ainsi, toujours sur le site Emploi et Création, on peut lire aujourd’hui :

« La communauté de communes Caux Val de Seine, basée à Lillebonne (Seine Maritime) a engagé en mai 2008 la construction d’une nouvelle structure qui a pour objectif « d’offrir un meilleur service à la population dans les domaines de l’accès à l’emploi et de la formation et apporter des réponses aux difficultés de recrutement actuelles et à venir des entreprises sur le territoire ». Elle accueillera sous un « guichet unique » plusieurs services territoriaux ayant cette vocation.

Çà ne vous rappelle rien ? Eh bien, il ne s’agira pas d’une maison de l’emploi. La collectivité l’avait envisagé, mais le programme étant gelé, il faut pour poursuivre dans la même voie adopter d’autres concepts, trouver d’autres méthode, réinventer parfois ce qui est pourtant déjà prévu.

La communauté de communes, qui est riche d’une taxe professionnelle conséquente avec Port Jérôme et sa raffinerie. Elle peut donc peut-être seule un projet sur le plan financier. Mais est-ce logique qu’un projet de cette nature ne soit pas relié à une politique publique plus organisée ?

Située sur le parc d’activités du Manoir à Lillebonne le bâtiment, construit dans une zone humide, aura un toit végétalisé. L’ouverture est prévue pour septembre 2009. Deux structures devraient s’y retrouver, la Mission locale de Lillebonne et le CLIPS (Comité lillebonnais d’insertion sociale et professionnelle). Surtout, l’imposante construction devra développer des services nouveaux.

Mais le nom lui-même a dû être adapté : il s’agira d’une « maison des compétences ». D’autres agglomérations ont d’ailleurs des projets sous ce même titre, comme la communauté d’agglomération du Val de Bièvre (ouest du Val de Marne). »

Une bonne idée…

Le principe central des maisons de l’emploi, dès lors qu’elles sont également « de la formation » puisque ces deux perspectives sont indissociables, est difficilement contestable. Je l’avais d’ailleurs exprimé : «  Les Maisons de l’Emploi trouveraient leur place dans le Dictionnaire des idées reçues de Flaubert avec ce commentaire : « nul ne peut être contre ». » (3).

Machine à café…

Difficilement contestable mais insuffisant, les maisons n’étant que « de l’emploi » alors que les difficultés d’insertion sont professionnelles et sociales. Cependant que les professionnels se regroupent, coopèrent, ne peut être a priori que positif mais, s’il faut se défier du syndrome de la machine à café (il suffirait de regrouper dans un même lieu les acteurs), il faut également se méfier du faux postulat « Le tout supérieur à la somme des parties », la systémie enseignant que ce tout peut être supérieur… mais également inférieur à la somme de ses parties. D’autant plus que, si communément mais à juste titre « l’effet mille-feuilles » des dispositifs préexistants est critiqué, le risque patent de création d’une nouvelle structure est d’ajouter une couche à cet empilement. Il faut donc préciser trois points :

Le pousse-pousse…(4)

Le syndrome du pousse-pousse … Premièrement, la place des maisons de l’emploi a été d’autant plus difficile à prendre pour celles-ci qu’elles sont intervenues dans un champ paradoxalement agité : d’une part, structuré avec des acteurs en place depuis plusieurs années, d’autre part en pleine mutation avec la fusion de l’ANPE et de l’Assedic. Qui plus est, cette place revenait à leur confier un rôle de coordination, facilement interprétable en termes de pouvoir. L’exercice était donc très délicat, réclamant beaucoup de doigté, de diplomatie… et plusieurs directions de maisons de l’emploi ont dû rendre leurs tabliers pour ne pas l’avoir compris. Les maisons de l’emploi qui se sont imposées sur la base de l’onction législative et en comptant sur le lobbying de leur instance nationale, plutôt que sur la négociation avec les acteurs locaux, rencontrent inévitablement les pires difficultés de reconnaissance… et ces dernières deviennent d’autant plus fortes que le niveau national n’envoie plus de message univoque de soutien.

Le coucou…(5)

Le syndrome du coucou Deuxièmement, les missions des maisons de l’emploi peuvent, selon les cas, produire une forte ou une faible valeur ajoutée, ainsi que venir compléter ou se substituer aux offres de service préexistantes. Concernant les missions, l’axe 1 d’observation GPEC du territoire peut être productive dès lors qu’elle génère de l’innovation : on n’observe pas pour observer mais pour concevoir de nouvelles solutions sociales et, s’il ne s’agit que de proposer ce que chacun sait déjà en y apposant le label « maison de l’emploi », la réaction immédiate sera celle d’une « plus-value » de pouvoir à l’inverse d’une « valeur ajoutée », c’est-à-dire d’un bénéfice pour la maison de l’emploi sur la base des réalisations d’autres acteurs. J’avais nommé cela, dans le Rapport Anciaux (qui ne l’a pas repris), « le syndrome du coucou ». Quant à la substitution, son risque est inhérent aux missions telles que l’AIOA (accueil – information – orientation – accompagnement), « noyau dur » du métier des opérateurs centraux de l’insertion. A ces difficultés de nouvelles valeurs ajoutées et de substitution s’ajoute le risque de la redondance : l’axe 3 et la création d’entreprise peut parfaitement être rempli sur de nombreux territoires par d’autres structures préexistantes, singulièrement le consulaire mais également l’ADIE, une Boutique de Gestion…

L’aubaine…

Troisièmement, sur beaucoup de sites, les maisons de l’emploi ont été saisies comme des opportunités, des aubaines purement financières grâce à la manne de l’État (y compris avec les 50% pour l’investissement immobilier) et parfois politiques, en y plaçant des « techniciens – amis »… dont la place acquise plus sur du relationnel que des compétences ou des besoins effectifs est évidemment vacillante dès lors que les exécutifs locaux ont changé de majorité. Ce qui s’est produit sur beaucoup de sites.

Myopie et nanoseconde…

« Myopie : (nom féminin), troubles de la vision, difficulté à distinguer les objets lointains » Dictionnaire de la Langue française. Et dire qu’il fût un temps, pas si éloigné, où l’on parlait de l’État en termes de « Maître des Horloges » (6). Il est vrai que, depuis, le temps s’est accentué et que l’on calcule le temps à la nanoseconde (milliardième de seconde). Hélas.

 

(1) Deux des trois auteurs sont membres d’Alliance Villes Emploi.

(2) Renaud Epstein, « Gouverner à distance. Quand l’État se retire des territoires », Esprit n° 11, 2005.

(3) Liaisons sociales magazine, « La création de maisons de l’emploi est-elle une bonne initiative ? », janvier 2005.

(4) Le pousse-pousse est ce jeu avec des lettres dans le désordre qu’il faut reclasser par ordre alphabétique : dès lors que l’on déplace une lettre, c’est l’ensemble du jeu qui est affecté.

(5) Le coucou est un oiseau qui niche chez les autres.

(6) Philippe Delmas, Le Maître des Horloges, 1991, Odile Jacob.

commentaires
  1. Benoit Willot dit :

    Merci pour cette analyse fort pertinente.
    Un point de vue cependant: dans bien des domaines, à l’échelle d’un territoire, l’enjeu n’est pas la structure, mais la stratégie.
    Par exemple pour la création d’activités, si des structures différentes peuvent être en charge d’un dispositif, qui a la légitimité de la constitution d’une filière, de la définition d’une politique: certainement pas un organisme consulaire, une Boutique de gestion ou l’Adie.
    La maison de l’emploi, en tant que structure est parfois plus un problème de plus qu’une solution; mais l’élaboration d’une stratégie, par exemple dans une maison de l’emploi (il peut y avoir d’autres cadres), c’est souvent le début de la réponse.

  2. BD dit :

    Je profite de la citation de notre cher secrétaire d’état qui a certainement travaillé ces cahiers de vacances lors du passage à 2009 :
    http://www.wauquiez.net/?page=detail_actu&id=42

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