La Charte des missions locales de 1990. 2/4

Publié: septembre 27, 2008 dans Insertion/missions locales

Suite de notre travail sur le premier des textes fondamentaux, Rapport Schwartz excepté, avec le concept d’approche globale : « Une intervention globale au service du jeune. Les partenaires prennent en compte les dimensions économique, sociale, culturelle et institutionnelle de la situation des jeunes… » (point 5) et « Avec les jeunes, les partenaires élaborent des réponses adaptées à leur situation en matière d’accès à l’emploi, de formation, mais aussi de santé, logement, culture, sport, loisirs… Ils valorisent la reconnaissance des droits et devoirs des jeunes et l’exercice effectif de leur citoyenneté… » (point 7). On a vu précédemment qu’un volet de l’approche globale était celui de l’offre (« L’équipe technique, pluridisciplinaire et inter-institutionnelle de la mission locale… » point 8). Voyons à présent le volet de la demande.

Approche… évidemment globale.

Deux choses sont étonnantes avec l’approche globale : le fait que régulièrement les institutions semblent la découvrir comme une révélation de la façon dont on doit traiter de l’insertion ; le fait que, si elle est sans conteste le concept-clé des missions locales, elle l’est également pour d’autres réseaux d’intervenants sociaux… ce qui contraint à poser l’hypothèse d’une généalogie partagée bien avant 1981, naissance de l’insertion si l’on considère que celle-ci est datée avec l’édition du Rapport Schwartz.

Pentecôte…

L’approche globale, en effet, est assez régulièrement convoquée comme les langues de feu à la Pentecôte descendant sur les apôtres qui sortent de leurs agapes avec le don des langues – mieux qu’Assimil – et, polyglottes, vont pouvoir parcourir le monde pour l’évangéliser. Le dernier exemple en date est fourni par un contributeur au texte de Michel Abhervé (cf. article précédent « Un ancien DIIJ face au RIJ ») qui écrit qu’au Grenelle de l’insertion, «  … il a été découvert la notion d’accompagnement global (27 ans après le rapport de Bertrand Schwartz et sa mise en oeuvre par les Missions locales)… » Ces « découvertes » émaillent les textes d’analyse et d’orientation, on peut s’en convaincre en lisant par exemple le – par ailleurs remarquable mais très volumineux (plus de 400 pages…) – rapport de l’IGAS, L’intervention sociale de proximité (La Documentation Française, 2006) qui plaide « Pour une intervention globale centrée sur les personnes ». L’histoire repasse les plats.

Généalogie… propre.

Propre, l’approche globale est sans doute ce qui constitue l’originalité du Rapport Schwartz : Pierre Mauroy, Premier ministre, lui commande le 10 juin 1981 une « mission d’étude pour la réalisation d’une meilleure insertion des jeunes de seize à vingt-et-un an dans la vie professionnelle »… et, obstiné, Bertrand Schwartz s’évertue tout au long de son rapport à systématiquement associer les qualificatifs de « professionnel » et de « social ». Il dira plus tard que sa difficulté essentielle fût de « convaincre la Gauche que professionnel et social ne pouvaient être séparés » (1). Un des cinq principes explicités pour répondre à l’ambition du Rapport est « Rechercher cohérence et globalité » et l’on pourrait aujourd’hui, dans bien des missions locales, s’arrêter un instant – entre deux saisies et trois requêtes sur P3 – pour réfléchir sur cette phrase extraite du Rapport : « Ainsi considérons-nous comme grave et dangereux le risque qu’on encourrait à ne prendre en considération que les mesures touchant à la formation et à l’emploi parce qu’elles apparaîtraient suffisantes pour régler les problèmes les plus visibles. » Tout est dit. Hélas.

Généalogie… partagée.

Partagée, l’approche globale est un principe issu de l’éducation populaire qui, sans pouvoir en faire ici l’histoire (de Condorcet en 1789 à Mounier jusqu’à la seconde guerre mondiale, de Léo Lagrange en 1936 à l’altermondialisme aujourd’hui), fonde son action sur l’indissociabilité entre Sujet (individuel) et Acteur (collectif), entre accomplissement personnel et émancipation collective, entre citoyennetés civique et politique, entre théorie et pratique, etc. Emmanuel Mounier, fondateur de la revue Esprit et concepteur du « personnalisme » définit ainsi cette philosophie : « Nous appelons « personnalisme » toute doctrine, toute civilisation affirmant le primat de la personne humaine sur les nécessités matérielles et sur les appareils collectifs qui soutiennent son développement. » (2). Ce faisant, il réfute le capitalisme (« nécessités matérielles ») et le marxisme (« appareils collectifs ») et s’inscrit dans ce que l’on a appelé la « 3ème voie » dont le dénominateur commun est l’humain… par définition insécable, indissociable. Sauf pour les coupeurs de tête.

Des alliés…

De cette matrice commune, de ce paradigme de l’éducation populaire, naîtront et se développeront de nombreux réseaux tels que les centres sociaux (même si ceux-ci, à l’origine, seront marqués par l’empreinte religieuse – 3), les foyers de jeunes travailleurs, etc. La Charte fédérale des centres sociaux et socio-culturels de France (Angers, 2000) énonce ainsi à la suite de ses valeurs « se plaçant dans le mouvement de l’éducation populaire » que « La vision des Centres sociaux et socio-culturels ne fractionne pas la vie humaine en autant de segments qu’il y a d’administrations ou de prestataires de service : elle identifie ce qui fait la globalité de l’existence individuelle et des situations collectives. » La Charte de l’UFJT du 2 février 1996 (désormais UNHAJ : Union nationale pour l’habitat des jeunes) énonce de son côté : « Participant à la politique de la jeunesse, fidèles à notre vocation d’éducation populaire et de promotion sociale, nous adoptons une approche globale et individualisée de chaque jeune… » Sachant que l’essentiel est bien dans les valeurs et les principes, voilà des alliés potentiels en ces temps de gros temps pour le social.

Retour sur les missions locales…

L’approche globale, en ce qui concerne l’objectif opérationnel de toute mission locale qu’est l’insertion professionnelle et sociale (l’objectif finalisé étant l’intégration), recouvre donc l’indissociabilité entre les dimensions du professionnel et du social. Indissociabilité signifie qu’il n’y a pas une dimension qui subordonnerait l’autre, c’est-à-dire – dérive la plus commune – que le social serait au service du professionnel. Pas plus d’ailleurs que l’inverse. Il faut distinguer ce qui est du registre des visées et des pratiques. Tout professionnel sait par expérience que le parcours d’insertion est toujours singulier et que, pour un jeune, il faudra préalablement régler des difficultés d’ordre social avant d’engager une démarche professionnelle alors que, pour un autre jeune, l’accès direct à l’emploi permettra de résoudre des problèmes sociaux (« effet levier »). Voilà pour la pratique. Pour la visée, les deux piliers de l’intégration sont l’indépendance financière, garantie par l’exercice d’un emploi, et l’autonomie sociale recouvrant un équilibre à la mesure de la personne entre les sphères interagissantes de l’individuation (santé, stabilité psychologique, relations avec les proches, la famille…), de la sociabilité (amis, voisinage, associations) et du sociétal (institutions, droits et devoirs…). A chacune de ces sphères correspond un concept principal : accomplissement pour l’individuation, lien pour la sociabilité et citoyenneté pour sociétal. La simplicité ne s’oppose pas à la complexité mais à la complication. Cette configuration d’interactions « indépendance économique et autonomie sociale » ainsi que « individuation – sociabilité – sociétal » est simple et complexe. C’est le raisonnement compliqué qui est un biais parce qu’il sépare ce qui est unit : avec la force (désespérante, parfois) des fausses évidences du sens commun, il est simpliste.

Problématique arboricole…

Cette conception de l’insertion et de l’intégration, si elle se fonde sur le bon sens et l’expérience, n’en est pas moins mise à mal par les logiques sectorielles des institutions, chacune ne voulant raisonner (et financer) que sur la seule base de sa compétence : pour l’État l’emploi, pour la Région la formation, pour le Département le social… Ainsi s’observe un glissement, une dérive, déclinaison concrète d’une pensée disjonctive alors qu’il faudrait une pensée complexe… En termes de stratégie, il semble évident que la valeur ajoutée du travail de mission locale réside dans cette capacité à intervenir globalement. A l’inverse, mises en concurrence dans le seul champ de l’insertion professionnelle et sur la base d’évaluations simplistes (purement quantitatives, un « emploi durable de six mois ou plus » dans un marché du travail précarisé), il est possible ou probable que des missions locales seraient en difficulté. L’approche globale est donc à la fois un concept identitaire et stratégique. Y renoncer reviendrait tout simplement à scier la branche sur laquelle on repose. S’y référer est s’enraciner, ce qui est la meilleure façon de bourgeonner. C’est in fine une problématique arboricole.

 

 (1) Par exemple, à voir et à écouter Bertrand Schwartz, coffret multimédia Université de Genève & Télévision suisse, 2007, et Missions locales. 1982-2005, DVD ministère de l’Emploi, de la cohésion sociale et du logement, CNML et Dexia, 2005.

(2) Emmanuel Mounier, Le Personnalisme, {1949} 2005, PUF.

(3) La fondatrice des centres sociaux (qui ne portaient pas encore ce nom) est en France mère Mercédès Le Fer de la Motte (sic) qui créa en 1897 L’œuvre sociale de Popincourt… sur le modèle des settlements en Angleterre… animés par des pasteurs. C’est tout dire. Qu’on se rassure, la sécularisation des centres sociaux a fait son chemin depuis.

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