Travailler tous et mieux, plus et pourquoi ? 1/2

Publié: juillet 10, 2008 dans Au gré des lectures

Qui trop embrasse…

Entre rapports officiels, circulaires, contrat d’autonomie… et nouveau conseil d’administration de l’ANDML, l’actualité foisonne et tourbillonne avec le risque d’une sur-information qui obèrerait la réflexion. Et pourtant… A trois semaines d’intervalle, parution dans Le Monde de deux articles de taille comparable et apparemment sur le même sujet, « Travailler tous, et mieux » (18 juin) par Dominique Méda et Pierre-Alain Muet, « Travailler plus, pour gagner quoi ? » (9 juillet) par Robert Castel. On ne pouvait pas ne pas s’arrêter sur ces deux contributions… à commencer aujourd’hui par Méda et Muet.

Défense des 35 heures et partage du travail.

« Travailler tous, et mieux » est un article exprimant la position du parti socialiste (enfin celle de socialistes, tant il semble hasardeux que ce parti parle d’une seule voix), dont le point de départ est la critique de la déconstruction des 35 heures par le gouvernement et dont le point d’arrivée correspond à des éléments de programme politique (congrès d’Amiens ?). La contestation s’appuie entre autres sur la défense du bilan de la réforme Aubry (350 000 emplois créés) et sur le constat d’une « croissance française {qui} a été très supérieure à la croissance européenne » durant la période 1997-2002. Sur ce dernier point, mais sans doute les contingences inhérentes d’un article de quelques milliers de signes sont-elles explicatives, il y aurait bien plus à dire et à moduler… ne serait-ce qu’en reprenant  les arguments – justes – exposés dans Qu’est-ce que la richesse ? (1999, Aubier) par cette même Dominique Méda qui écrivait alors : « Le bonheur ne se réduit pas au taux de croissance » (p. 101). Le plaidoyer, fort heureusement, ne se limite pas à ce satisfecit sur la croissance, mettant en avant des comparaisons internationales (les Français travaillent plus en moyenne que les Allemands et les Scandinaves qui, pourtant, affichent de meilleures performances économiques), une évolution sociétale tendancielle longue (« … ce qui caractérise le développement économique depuis la révolution industrielle, c’est la relation étroite entre la réduction du temps de travail et les gains de productivité. »), les effets bénéfiques de la RTT sur la vie familiale (meilleure répartition des tâches parentales et domestiques), etc. Sans doute la critique la plus percutante, parce que de bon sens, est-elle celle qui vise le slogan présidentiel, lui de sens commun : « En privilégiant les heures supplémentaires des salariés à temps complet, le gouvernement tourne le dos à ceux qui ont réellement besoin de travailler plus pour gagner plus : les chômeurs, les allocataires de minima sociaux qui n’accèdent pas  un accompagnement vers l’emploi, les salariés travaillant sur des temps partiels courts et mal rémunérés… » Le thème du « partage du travail » (très inconvenant dans l’air du temps) n’est pas explicité, on peut le regretter, mais c’est bien de cela dont il s’agit… sauf à accentuer les inégalités, à constituer une underclass de travailleurs pauvres et de surnuméraires.

Deux réformes ultra-prioritaires : qualifier et reconsidérer les fondamentaux du SPE…

Toujours est-il que deux grandes réformes « doivent constituer pour les socialistes la priorité ». Tout d’abord, investir dans la qualification des jeunes à tous les âges – « formation professionnelle tout au long de la vie » – (1), ceci dans une conception globale puisque, s’il s’agit d’accéder à l’emploi, la participation à la vie sociale est également visée. Pour les auteurs, « le développement d’un service public d’accueil de la petite enfance et la qualité de l’emploi en constituent deux éléments-clés. » Deuxième réforme, « réorganiser en profondeur les services publics chargés de l’emploi et de l’insertion ». Ne connaissant pas les auteurs, on se serait attendu au pire car, somme toute, cette réorganisation « en profondeur » est incontestablement à l’œuvre avec la mise en concurrence, l’obligation de résultat, les moyens non pas constants mais en baisse, etc. Bien sûr, il ne s’agit pas de cela mais d’abord d’une philosophie de l’action à laquelle on ne peut que souscrire : « … passer de l’ère du contrôle et de la prescription à celui de la décentralisation et de l’aide bienveillante. » Je concluais un article dans la revue Territoires (avril 2007), « L’abbé Pierre était-il efficient ? » par ces mots guère éloignés : « …invitons les instances nationales en charge de l’intérêt général à se coordonner pour résoudre  cette « crise de l’intelligence » (M. Crozier, 1995), pour – enfin – parler du social dans une perspective d’acteur (compréhensive, complexe et encourageante) et non dans celle, exclusive, d’un système (hémiplégique, disjonctif et soupçonneux). Chaque partie ne s’en portera que mieux. » En fait de réforme du SPE, c’est plus exactement la reconsidération de ses fondamentaux dont il est question : en s’appuyant sur la négociation sociale (il n’est pas dit quels seraient les interlocuteurs de cette négociation mais on peut espérer, contrairement à la position des Assédic dans les maisons de l’emploi, que les organisations de chômeurs seraient parties prenantes), atteindre le plein-emploi en accompagnant de façon personnalisée les chômeurs tout en sécurisant les situations des salariés (« disposer d’une assurance emploi effective »). Outre une posture plus soupçonneuse que confiante (alors même que Christian Charpy reconnaît que le nombre de chômeurs qui fraudent « est infime », Le Monde, 28 juin 2008), qui correspond à ce que l’on appelle « une prophétie auto-réalisatrice » (c’est-à-dire mettant en place en l’énonçant les conditions pour qu’elle se réalise), on remarquera que l’orientation actuelle du gouvernement est a priori similaire en ce qui concerne l’accompagnement personnalisé (2) et même pour la sécurisation des parcours (cf. l’abondante littérature officielle sur la « flexisécurité », les expérimentations du contrat de transition professionnelle…). « A priori » car il faut, d’une part, aller voir sur quelles bases repose l’accompagnement personnalisé, en l’occurrence le nouveau principe-épée de Damoclès de « l’offre raisonnable » (3), et, d’autre part, juger sur pièces ce que les faits nous renseignent : une diminution objective des « inclus » sous la double injonction de l’impératif de flexibilité (privé) et du slogan « Moins d’État, mieux d’État » (public).

Autrement formulé, le « précariat », notion chère à Robert Castel dont, précisément, on parlera prochainement.

 

(1) Là aussi, sans doute, les contingences d’un article impliquent un survol… Car, si l’objectif de qualification n’est pas contestable, dès lors que celui-ci est associé (comme c’est le cas ici) au « plein emploi », il faut se défier du raisonnement simpliste et mécaniste. Comme l’écrit José Rose, « Le modèle adéquationniste repose sur des postulats forts et peu réalistes. » (Des formations pour quels emplois ? 2005, La Découverte, p. 369). A cet approfondissement théorique on peut ajouter l’expérience historique des toutes premières années des missions locales et – plus encore – des PAIO, lorsque l’imminence d’un retour aux fastes années des Trente Glorieuses avait justifié une politique du « tout formation » L’hirondelle des états mensuels de DEFM ne fait pas le printemps, encore moins l’été, du plein emploi.

(2) Rappelons que le principe d’un accompagnement personnalisé de chaque demandeur d’emploi a été retenu en 2001 avec le PARE puis le PAP.

(3) « Étrangement, le thème de l’offre raisonnable (ou valable) d’emploi ressort en France à chaque fois que, comme à la fin des années 1990 ou aujourd’hui, le marché de l’emploi s’améliore au rebours des autres pays. {…} Tout se passe comme si, lorsque le rapport de force devient trop favorable aux demandeurs d’emploi et que s’accroissent leurs capacités de négociation, les employeurs tentaient d’augmenter le volant de main d’œuvre disponible en réduisant la marge de manœuvre de ceux qui offrent leur force de travail. En 2000, le Medef proposait, avec le plan d’aide au retour à l’emploi (PARE), d’élargir la notion de qualification correspondante au poste offert à celle de « capacité » à l’occuper. Et, aujourd’hui, nous avons « l’offre raisonnable »… » Carole Tuchszirer, « Une volonté d’augmenter le volant de main d’œuvre disponible », Le Monde, 10 juin 2008.

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