Plan Espoir Banlieues : le Conseil Économique et Social circonspect.

Publié: juillet 7, 2008 dans Insertion/missions locales, Politiques d'emploi

Vraiment pas de chance pour Fadela Amara ! Cette fois, ce qui pouvait être considéré jusqu’alors comme du corporatisme ne l’est plus puisque c’est au tour du Conseil Économique et Social d’émettre de sérieuses réserves sur le Plan Espoir Banlieues qui « n’engage pas de pistes réellement nouvelles » et manque de moyens. Reproduction ci-dessous de l’article paru ce jour sur le site du Nouvel Observateur (1). Et, on ne se refait pas, commentaires.

« Le Conseil économique et social (CES) rend lundi 7 juillet son rapport concernant le Plan Espoir Banlieues et fait part de son inquiétude. Le plan, après des « annonces ambitieuses », laisse apparaître « une réalisation incertaine » et un manque de moyens pour favoriser l’emploi pour les jeunes des quartiers.

Le CES propose ainsi, dans sa note d’avis sur « l’emploi des jeunes des quartiers populaires », qui doit être mise au vote mercredi, six mesures volontaristes pour favoriser l’emploi des 18-25 ans dans les zones urbaines sensibles (ZUS).

Manquements

Le Plan Espoir Banlieues avait été présenté en début d’année par le président Nicolas Sarkozy et la secrétaire d’Etat chargée de la Politique de la ville Fadela Amara comme un moyen de lutter efficacement contre le chômage et l’exclusion chez les jeunes. Mais le CES doute fortement de son efficacité.

Pour palier à ces manquements, le Conseil recommande par exemple de bloquer l’accès aux marchés publics des entreprises discriminantes ou encore d’accorder des exonérations de cotisations sociales aux employeurs qui recrutent des jeunes résidant dans des banlieues défavorisées, même si leur entreprise n’y est pas elle-même située.

Pour l’heure, toujours selon le Conseil, le Plan Espoir Banlieues « n’engage pas de pistes réellement nouvelles ». « Bien qu’il soit trop tôt pour tirer un bilan, il est possible de souligner d’ores et déjà un certain nombre d’insuffisances », souligne le rapport.

« Concentration des difficultés »

« Il y a un constat global qu’entre ce qu’on nous avait annoncé – un plan Marshall pour les banlieues – et ce qu’on obtient, il y a un manque de moyens clairs pour mener à bien les ambitions très fortes qui ont été fixées », résume à l’AFP Fodé Sylla, rapporteur de la note et ancien président de SOS Racisme. Pour le CES, il est urgent d’ « activer chaque maillon de la chaîne », de l’école au recrutement, car ces jeunes subissent « de plein fouet une concentration de difficultés » en raison de discriminations à l’embauche, mais aussi en matière de transports ou du logement.

Le rapport souligne aussi la nécessité de lever les conditions de nationalité posées dans certains emplois publics, en milieu hospitalier notamment, et d’attirer les jeunes vers le « vivier » de l’artisanat.

Le CES souhaite, plutôt que le CV anonyme, que se développe des outils pour évaluer « l’avancée de la diversité dans l’emploi », comme les « testing » et des outils statistiques soigneusement encadrés par la Commission nationale informatique et libertés (Cnil). »

La tentation attentiste et l’éthique de responsabilité.

Somme toute, s’il n’était question que de concurrence, le service public de l’emploi pourrait paisiblement attendre pour juger sur pièces l’efficacité présumée des heureux titulaires « OPP » (opérateurs privés de placement) avec l’espoir que la représentation qui sous-tend cette logique – pour aller vite, « privé = efficacité », « concurrence > coopération », etc. – s’effondre ou soit confirmée mais à un tel coût que le critère adulé de nos élites dirigeantes, l’efficience (rapport coûts/résultats), contraigne à constater avec le CERC (cf. article « L’insertion des jeunes sans diplôme : un bon rapport » 3/3, sur ce blog) que le travail des missions locales n’est finalement pas à jeter aux orties. Mais il s’agit de jeunes. De la sorte, sans illusion puisque en tout état de cause ce Plan Espoir Banlieues est lancé, il incombe aux missions locales un devoir de vigilance qu’elles devront exercer au sein des comités de pilotage départementaux de telle façon à ce que l’équité soit la règle, c’est-à-dire l’effort pour les jeunes les plus mis en difficulté. Que l’accès à « l’emploi durable » ne soit pas synonyme, selon l’expression d’André Gorz, d’ »emplois de la néo-domesticité » ou qu’il cautionne, comme le RSA, « les emplois de qualité médiocre » (2) mais qu’il se fonde, là encore comme l’écrit justement le CERC, sur des parcours qualifiants. Que la baisse du chômage ne corresponde pas à la hausse de la pauvreté, comme le rapporte Le Monde pour la situation allemande (3). Mais, si ce devoir est commandé par une éthique de responsabilité, la naïveté n’est pas de mise. On peut en particulier songer au savoir-faire de l’accompagnement de ces jeunes, une compétence multidimensionnelle construite au fil des années et très-très éloignée du « traitement de choc » et de ce qui est présenté comme un « système novateur » (cf. courrier de Fadela Amara dans l’article « Plan Espoir banlieues : député, chtit et têtu » sur ce blog). Car, en effet, ce qui pourrait advenir n’est pas très éloigné d’un constat que je posais dans une recherche pour la Chambre régionale d’économie sociale des Pays de la Loire sur le thème de l’évaluation de l’utilité sociale : « L’économie sociale, dès lors qu’elle fait la démonstration de sa viabilité économique, est en quelque sorte victime de son succès : tel est le cas, par exemple, d’associations du commerce équitable ou de producteurs de produits agroalimentaires du développement durable devenant des produits de « l’agriculture raisonnée ». Une recommandation de la CRES de Bretagne {…} énonce ainsi qu’il faut « inciter les acteurs de l’économie sociale, comme des autres entreprises, à développer des stratégies de « marque » ou de labellisation pour faire valoir leurs spécificités dans le respect du libre jeu de la concurrence »… mais on peut parier que cette stratégie de distinction, dès lors qu’elle aura démontré sa pertinence, sera récupérée par le marché… » (4). Il serait à craindre que, jouant le jeu d’un partenariat au nom aussi doux que la réalité des intérêts est objectivement – dans ses attendus, dans sa procédure et dans sa récompense –  purement marchande, les missions locales fassent un lit dans lequel elles ne coucheront plus.

Ceci étant, comme elles n’aspirent pas au repos…

 (1) http://tempsreel.nouvelobs.com/

(2) Hélène Périvier, « Le RSA cautionne les emplois de qualité médiocre », mai-juin 2008, revue Partage n° 201, pp. 7-8.

(3) Marie de Vergès, « En Allemagne, baisse du chômage… et hausse de la pauvreté », Le Monde, « Supplément Économie », 10 juin 2008.

(4) Philippe Labbé, Évaluer l’utilité sociale de l’économie sociale (et solidaire), février 2008, rapport final pour la Chambre régionale d’économie sociale des Pays de la Loire, p. 17.

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