La stratégie du prophète.

Publié: février 13, 2011 dans Actualité: pertinence & impertinence

Ci-dessous une contribution adressée au Quotidien de la Réunion à partir de la lecture d’un article sur et de Paul Vergès (oui, oui, le frère de…), ancien président du Conseil Régional. Dans la pure tradition familiale, le personnage a quelque chose d’énigmatique – grand timonier – et force est de constater que, y compris parmi ses opposants, la notion de « visionnaire » lui est souvent associée. C’est précisément sur ce registre que ce qui suit avance car, pour résumer, autant en politique la vision est un atout dès lors qu’elle permet l’anticipation – « gouverner, c’est prévoir » -, autant son côté obscur est de faire le lit du sauveur suprême, celui-là même que l’Internationale dénie. Vergès est le leader maximo du Parti Communiste Réunionnais qu’il a fondé en 1959 et dont le mot d’ordre était l’autonomie de la Réunion.

La morsure du catastrophisme.

« L’année 2011 sera la plus grave de l’Histoire de La Réunion. » C’est le diagnostic de Paul Vergès qu’on pouvait lire la semaine dernière dans les quotidiens régionaux. Diagnostic ? A voir. Rien n’est moins sûr…

Certes, sans jouer les Cassandre, on peut imaginer que 2011 sera difficile à la Réunion comme d’ailleurs en métropole : la crise systémique – financière, économique, sociale, sociétale et morale – est loin de n’être qu’une banale séquence un peu perturbée d’un électroencéphalogramme appelé naturellement à redevenir harmonieux. L’improbable devient désormais une certitude et presque chaque jour l’actualité nous démontre qu’on ne sait pas de quoi demain sera fait. Tout ce que l’on peut dire en ce qui concerne la Réunion est qu’à une très longue crise structurelle locale vient se combiner une crise également structurelle mais mondiale qui ne facilite pas une perspective de sortie par le haut.

Cependant, de l’improbable à la prophétie, il y a plus qu’un pas : une contradiction et un gouffre. Il faut donc s’interroger sur le dessein poursuivi par l’énoncé d’une catastrophe imminente et inéluctable. La réponse est simple tant le procédé rhétorique est commun : prédire la catastrophe vise à saisir les interlocuteurs – au sens du saisissement – pour les préparer au soulagement. C’est le syndrome de Kaa, ce serpent du Livre de la jungle, qui hypnotise – « Aie confiance… » – pour étouffer. A la phase d’interpellation critique – la catastrophe est devant nous – succède une phase de réconciliation affective dont on devine, sans être devin, qu’elle (ne) pourrait (que) s’incarner dans le même personnage : succédant à l’alerte arrive la solution, derrière la sentinelle s’apprête le sauveur.

Cette mécanique salvatrice est banale. Lisez un des pléthoriques rapports commandés au gré des évènements et préoccupations aux experts dûment répertoriés, Attali et consorts : ils commencent tous par la désespérance pour faire le lit de propositions d’autant mieux acceptées que l’on a été mis le dos au mur. La perspective du chaos rend acceptable ce qui était inenvisageable.

Deux observations peuvent cependant être faites, l’une de forme, l’autre de fond.

De forme : la tentation prophétique est d’autant moins acceptable que le prophète professe qu’il n’y a, selon la chanson, « ni Dieu, ni César, ni tribun ».

De fond : l’éthique de responsabilité qui devrait animer le politique n’appelle pas le catastrophisme mais le projet. Le catastrophisme engendre la peur, elle-même source de repli et/ou d’agressivité ; le catastrophisme sépare et oppose. L’illustre le dialogue entre Orsenna et Arditi lors de l’émission « Vivre la crise » sur France 2 : Orsenna : « La peur, c’est le pire des ciments d’une société. Regardez ce qui se passe avec les chiens quand on a peur… » Arditi : « Ils vous mordent. » Orsenna : « Ils vous mordent… Moins on aura peur, moins on sera mordu. » Le projet, qui peut être utopique sans être naïf, subsume le particulier au profit du général – un territoire, une population ; le projet relie et mobilise.

Mais quelles sont les conditions de réussite d’un projet ? Tout d’abord qu’on ne le confonde pas avec un programme : le premier est ascendant, plastique et participatif ; le second est descendant, rigide et sectoriel. Puis qu’il corresponde aux besoins de la population : ce n’est pas d’idéologie dont on a besoin – idéologie entendue comme capacité à répondre à des questions que l’on n’a pas entendues – mais de valeurs partagées et de débats entre ceux d’en haut et ceux d’en bas, élites et gens de peu. Egalement de modestie : c’est probablement la dernière qualité que l’on attribuerait spontanément au prophète. Enfin de crédibilité tant il n’est pas nécessaire d’être bardé de diplômes pour constater la faillite des élites, un déclin tendanciellement engagé depuis plusieurs années mais que 2010 a accéléré avec ses multiples affaires, des woerth et des pas mûres…

Si ces quatre conditions sont remplies, aux citoyens d’apprécier, la mobilisation réunionnaise attendue a quelque chance d’aboutir. Dans le cas contraire, on ne sera que pour la énième fois – il vaut mieux ne plus compter – face au désespérant jeu des ficelles de l’illusionnisme du spectacle politique. L’art du prophète est bien souvent celui du prestidigitateur.

commentaires
  1. Michel ABHERVE dit :

    Voir « A la Réunion, l’âge du capitaine, la capacité à rassembler et l’absence de Ministre expliquent la victoire de la droite »
    sur http://alternatives-economiques.fr/blogs/abherve/2010/03/21/a-la-reunionlage-du-capitaine-la-capacite-a-rassembler-et-labsence-de-ministre-expliquent-la-victoire-de-la-droite/

  2. pitondepierre dit :

    Oh Cap Breton,

    Ca y est tu a été édité dans le courrier des lecteurs du « Quotidine » d’aujourd’hui. Qui va réagit : Mowgli, Bagheera, Kaa ou le roi Louie en personne ?

    @t@nto

  3. Rochoux Jean-Yves dit :

    Effectivement la stratégie du prophète qui crie à la catastrophe est toujours à double détente : la prophétie d’abord puis la proposition du sauveur providentiel. Malheureusement avec la crise, les candidats au sauvetage sont de plus en plus nombreux et ils jouent de l’incertitude et surtout de la peur qui l’accompagne. Cela dépasse largement le cercle des politiques. En France, Pierre Jovanovic nous promet l’Apocalypse vue par Saint-Jean et le retour au Moyen-Âge, aux USA, Gerald Celente annonce une grande dépression suivie d’un retour à la société des pionniers, Gilles Bonafi préfère la fin du capitalisme dévoyé et la mise en place mondiale d’une sorte de socialisme nouvelle formule à condition de faire notre révolution individuelle, Marc Faber pense que nous allons revenir à un capitalisme plus authentiquement libéral (plus de marché !), Paul Jorion souhaite une solution mondiale plus démocratique… Tout cela est souvent intéressant, mais aussi parfois assez déjanté. Il est important de savoir où ces prophètes veulent en venir : simplement un peu de notoriété pour certains, pour d’autres vendre des conseils ou des conférences, peu d’entre eux ont de véritables projets de société.

  4. Vincent PLOVIER dit :

    Pour un exercice démocratique cohérent, il conviendrait de se poser la question de la durée des mandats, du nombre de renouvellements tolérables, des règles de cumul acceptables et de la méthode de calcul des résultats des élections.
    Je continue de rêver à la reconnaissance du bulletin blanc comme suffrage exprimé qui permettrait à l’électeur de refuser les candidats d’un deuxième tour et donc de renouveler le scrutin; et à l’interdiction de plus d’un renouvellement d’un même mandat, et enfin à un seul cumul possible.
    Tout cela garantirait au moins le renouvellement des assemblées.
    C’est simple, non? Mais ce n’est un rêve! Désolé!
    Vincent PLOVIER
    CFECGC

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